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Ici finit mon récit

Je vous ai raconté une tragédie : on savait dès le départ que le héros de l’histoire ne s’en sortirait pas vivant.

Toutes les épreuves rencontrées l’auront changé, auront transformé le jeune homme insouciant en héros mort pour défendre sa patrie, faisant avec ses camarades un rempart de leurs corps contre l’invasion…

Léon Mühr fut courageux mais n’a été que l’un des 1 400 000 soldats français tués pendant la Grande Guerre : il faudrait trois jours et trois nuits pour les faire tous défiler sur les Champs Elysées !

Ne pas oublier non plus les 4 millions de blessés, voire davantage si l’on en croit certaines sources et si l’on y ajoute les blessés psychiques, moins visibles, dont les familles eurent à souffrir de leurs dépressions post-traumatiques (entraînant  souvent alcoolisme, violences), blessures qui ont laissé des traces dans leur descendance parfois jusqu’à aujourd’hui.

MERCI A EUX !

Si l’on élargit l’angle : la première guerre mondiale a fait  40 millions de victimes dont 19 millions de morts, parmi lesquels plus de 2 millions d’Allemands.

Alors, merci à l’Europe qui rend aujourd’hui inimaginable la prise des armes contre nos voisins et merci à Franz Marc, soldat bavarois mort à Verdun en 1916, qui peut-être fut un des adversaires de Léon dans les tranchées du Bois d’Ailly, de nous avoir laissé ce tableau intitulé « Chevaux bleus », peint en 1910, qui figurait à l’Exposition « LA BEAUTE SAUVERA LE MONDE» au Musée des Beaux Arts de Tournai (2013).

 chevaux bleus_NEWLa beauté sauvera peut-être le monde… mais il y a encore du travail!

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Le 1er août 1921, Félicie Mühr reçut une maigre consolation: le corps de son fils fut transféré à Cusance pour y recevoir une sépulture définitive.

Il avait en effet été décidé en haut lieu que, dans la mesure du possible, les corps des soldats seraient renvoyés à leurs familles. Cela donna lieu à un gigantesque marché de pompes funèbres et plusieurs scandales éclatèrent, d’aucuns ayant trouvé l’occasion de s’enrichir facilement en fournissant, par exemple, des cercueils de moindre qualité ou de dimensions plus réduites que prévu dans l’appel d’offres. Cet épisode a été évoqué dans l’excellent roman (prix Goncourt 2014) : Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître.

 Une messe fut sans doute célébrée et l’on édita une nouvelle image pieuse. Puis la vie reprit son cours. A Guillon et à Cusance comme ailleurs.

Image Leon 2

J’ai déjà évoqué dans un article précédent (La vie d’avant) quelles traces restaient de Léon Mühr dans la maison de sa mère veuve qui recevait chaque été en vacances ses petits-neveux Menneglier ceux-ci n’ayant plus, de leur côté, leurs grands-parents maternels.

Françoise et Jean, dans leurs souvenirs, décrivent Félicie Mühr, « la tante Fé », comme une personne peu expansive mais très douce, toujours habillée de noir et coiffée d ‘une fanchon (sorte de bonnet en peluche), à la mode d’avant la guerre. Elle avait une vigne dont elle tirait un vin aigrelet et possédait officiellement un alambic où elle distillait des prunes, ne manquant pas de soustraire une partie de l’alcool à la surveillance des autorités !

1934 presbytere de cusance Felicie Muhr avec 2 nieces (1)

Le dimanche, elle se rendait à Cusance sur son vélo à pignon fixe (sur lequel il fallait sauter puisque les roues et les pédales tournaient en même temps). Françoise écrit même que « le vélo connaissait le chemin » car, affectée par la cataracte, elle n’y voyait plus grand chose. Arrivée au cimetière, ayant comme chaque semaine préparé une brassée de fleurs de son jardin, « elle les mettait dans un vase sur la tombe des siens, arrachait les mauvaises herbes et allait ensuite assister à la messe non sans avoir récité auparavant le De profondis. », relate Jean Menneglier.

Elle mourut en 1937, peu avant la deuxième guerre mondiale, sa maison fut vendue et les souvenirs conservés précieusement par Marie Pequignot et Adèle Menneglier. C’est ainsi qu’ils sont parvenus jusqu’à moi.

 

 

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Le 12 juin, après une quinzaine de jours passée à alterner les séjours dans les tranchées avant et celles de réserve au Bois d’Ailly, le Régiment quitte définitivement ce lieu de souffrance, par un train pris en gare de Sorcy.

Il rejoint, toujours dans la Meuse, un secteur tranquille : le Bois des Chevaliers. Là raconte Charles Galliet, les soldats se heurtent à des ennemis coriaces : les poux !

Mais « ceux qui avaient passé là avant nous, n’ayant pas connu le continuel souci de la lutte, avaient aménagé pour leur bien-être le terrain dont les coteaux boisés ne convenaient pas aux attaques d’infanterie ; on y trouvait des constructions pour toutes saisons : des cavernes spacieuses dans lesquelles les occupants avaient apporté des pays voisins évacués, des tables, des bancs, des glaces, des livres ; et les installations d’été, en surface, pagodes d’osier, hamacs entre les branches, il ne manquait que des fleurs pour compléter le décor. »

En septembre ce sera le départ pour le front champenois. Le 24 septembre, Joffre donne l’ordre d’une grande offensive dans ce secteur :« Allez-y de plein cœur pour la délivrance du sol de la Patrie, pour le triomphe du droit et de la liberté. » écrit-il.

Mais une fois encore ce fut un fiasco et le 171e perdit son colonel et quatorze officiers.

« Après cette hécatombe de chefs et les deux tiers de l’effectif des hommes perdus, que pouvions nous faire encore ? » dit Charles Galliet.

Encore une vaine offensive !

Le séjour en Champagne, boueuse, pouilleuse, pendant lequel la troupe fit connaissance des gaz asphyxiants et manifesta ses premiers signes d’insubordination, dura jusqu’en juin 1916 où le 171e fut envoyé à Verdun; il participa à cette grande bataille pendant cinq jours seulement, du 23 au 28 juin, mais ce furent cinq jours d’enfer dont voici un petit échantillon (toujours sous la plume de Charles Galliet) :

« Les détonations ébranlaient les cerveaux, surexcitaient les nerfs, les yeux s’enfonçaient égarés sous leurs orbites, les faces tirées devenaient jaunes, les oreilles assourdies (…) nous étions sans volonté, sans appétit, consumés par la fièvre, ne vivant que de l’eau de nos bidons saturée de poudre de café ». L’ordre du Colonel était de « mourir sur place plutôt que de céder un seul pouce de terrain ».

Les pertes à Verdun furent telles qu’une compagnie fut supprimée dans chaque bataillon : triste solution puisqu’il n’était plus possible de combler les pertes par de nouveaux renforts venus de l’arrière.

Le 22 juillet 1916, le 171e RI quitte définitivement la Meuse pour la région de Soisson.

Le 20 septembre, dans la Somme, il résiste à une violente contre-attaque allemande dotée de gros moyens en artillerie, aviation et troupes fraîches.

En mai 1917, le Régiment participe à la bataille du Chemin des Dames et remporte même, encore une fois moyennant de cruelles pertes, certains succès à cet endroit.

De juillet 1917 à janvier 1918, ce sera le difficile et froid secteur des Vosges, où l’on tentera encore d’enfoncer vainement les lignes allemandes.

En mars 1918 reprennent les grands combats, pour le 171e ce sera dans la Somme (Sauvillers, Mongival, Thory) : combats au corps à corps et pugnacité des Allemands qui tentent de reprendre du terrain . Le 1er bataillon, qui fut celui de Léon Mühr, est à peu près anéanti, mais le 4 avril, le 171e RI se trouvant en première ligne et « les actes de dévouement atteignant les limites du sublime », l’offensive allemande est arrêtée. Une fois de plus cette troupe de valeur « a sauvé la situation et bien mérité de la Patrie », ce qui lui vaudra citations et fourragères aux couleurs de la Croix de Guerre.

En juillet 1918 : secteur de Cantigny, où l’on recueille prisonniers allemands et renseignements.

En aôut, les Allemands ayant faibli, ils sont poursuivis et la localité de Montdidier est libérée ainsi que celle de Laucourt (nouvelles prises de soldats allemands).

Puis la position stratégique de la Panneterie sur le canal du Nord est enlevée début septembre malgré la défense opiniâtre de l’ennemi.

Le 24 septembre, en première ligne, de concert avec le 2e Régiment d’Infanterie légère Britannique de Durham, le 171e reprend des positions dans le secteur de Douai, puis au prix de pertes sévères, juqu’au 27 septembre continue à avancer devant St Quentin ; des « coups de main » permirent alors de gagner 1500m de terrain et de faire de nombreux prisonniers. Le 1er octobre, St Quentin est repris et le Lt Pichot du 1er bataillon entre le premier dans la ville.

Jusqu’au 12 octobre, dans ce secteur, il sera encore beaucoup demandé au 171e RI qui finira par tomber enfin sur un village fraîchement abandonné par les troupes allemandes : le bureau de l’ « Ortskommandantur » déserté avec toutes sortes de documents encore en place !

Après un court repos, le régiment se trouvera à La Capelle le 7 novembre où il accueillera les parlementaires allemands venus demander l’armistice :

« A 20h10, la mission de parlementaires allemands est aperçue sur la route venant d’Haudroy. La pemière section de la 3e compagnie est déployée de part et d’autre sur la route. Cinq automobiles avancent à toute allure, les phares sont éclairés, un immense drapeau blanc flotte sur la première voiture, un trompette allemand debout sur le marchepied sonne le « Cessez le Feu ». 

L’historique du 171e RI conclut dithyrambique :

« le Régiment a ainsi le grand honneur de recevoir à ses avant-postes l’Allemand vaincu et démoralisé qui venait implorer l’armistice et la cessation des hostilités.

Soldats du Haut-Rhin, du Doubs et de la Haute-Saône qui composiez à la mobilisation le Régiment ; soldats de toutes les régions de France qui êtes venus combattre sous son glorieux drapeau, vous pouvez être fiers du 171, il a bien mérité de la Patrie.

C’est un Régiment qui s’en va gaiement  (sic) « EN AVANT »

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 Il serait intéressant de connaître combien, parmi les trois mille hommes qui composaient le 171e Régiment d’Infanterie le 1er août 1914, étaient encore en vie et indemnes le 11 novembre  1918!

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Dans cette histoire de Léon et de ses camarades du 171e RI, un rôle non négligeable est tenu par le lieu de la tragédie, presque un personnage à part entière : le Bois d’Ailly.

Que lui est-il arrivé après le 20 mai 1915?

D’abord les combats perdurèrent jusqu’au 22 mai; ce jour là se situe un épisode marquant de cette partie du front : une compagnie du 172e RI, frère du 171e au sein de la Brigade active de Belfort, s’est trouvée isolée de l’arrière et donc sans approvisionnement. Les soldats se battirent avec courage dans la chaleur et la poussière sans pouvoir se désaltérer et furent finalement fait prisonniers par les Allemands. Cet épisode est resté célèbre sous le nom de « la Tranchée de la Soif », une stèle commémorative lui est consacrée sur les lieux.

Ces combats de mai 1915 furent les dernières tentatives françaises pour récupérer le territoire de la « hernie de St Mihiel ». Joffre et son état-major commençaient à comprendre qu’il valait mieux se contenter de garder les positions acquises. Et d’autres soucis les attendaient avec l’attaque en février 1916 de Verdun par les Allemands et la nécessité de placer toutes les forces vives dans la défense de cette place.

Les trois dernières années de la guerre ne virent donc au Bois d’Ailly que de légers affrontements, les Allemands étant bien installés dans des tranchées bétonnées. En 1918, cependant, lorsque les Etats-Unis d’Amérique entrèrent à leur tour en guerre, c’est ce morceau du front qui fut choisi en priorité pour une reconquête. Les 12 et 13 septembre 1918, la 2e division de l’American Expeditionary Force, dirigée par le Général Pershing vint à bout de la poche de résistance allemande. 250 000 hommes – dont 216 000 Américains -, 1444 avions, 3100 canons, 267 chars légers furent nécessaires pour déloger les Allemands de leurs tranchées.

Aujourd’hui, au Bois d’Ailly, subsistent les ouvrages en béton des Allemands, des fossés, traces des tranchées françaises et quelques monuments commémoratifs des sacrifices de la jeunesse française sur cette minuscule portion du front occidental. Les arbres ont repris possession de l’endroit et par un jour de printemps ensoleillé, le Bois d’Ailly est redevenu un joli bois très bucolique, où l’on peine à imaginer le paysage lunaire, les trous d’obus, les arbres déchiquetés et les charniers qui effrayaient tant les soldats remontant au front !

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Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à Léon Mühr, j’ai interrogé à son sujet la seule personne encore en vie de la génération de ma mère : Colette Géhant.

Celle-ci, la plus jeune des quatre enfants Menneglier, n’avait que très peu de souvenirs au sujet de Léon, si ce n’est que sa tombe se trouvait au cimetière de Cusance et que sa photo y figurait. Mais elle possédait un objet, un petit cadre qu’elle a eu la gentillesse de m’offrir. Il s’agit d’un article paru dans plusieurs organes de presse régionaux, recopié à la main d’une très jolie écriture calligraphiée, décoré de guirlandes de fleurs, mis sous verre et encadré (sans doute par Félicie Mühr) au moyen d’un tissu cousu !

J’ai pensé que ce genre d’article était écrit couramment pour honorer les poilus, aussi quelle n’a pas été ma surprise en fouinant sur internet de trouver l’article reproduit entièrement sur un site dédié au catholicisme pendant la Grande Guerre, et seul dans son genre.

Sans doute la considération dont Léon Mühr jouissait auprès de sa paroisse de Cusance, a-t-elle suscité la rédaction de cet article élogieux dans la presse catholique de la région, à moins que ce ne soit l’entregent de sa tante religieuse, Marthe Pahin-Mourot; Cette rédaction n’échappe pas cependant à quelques approximations : le grand-père de Léon a quitté l’Alsace bien avant la guerre de 1870 et ne l’a donc pas fait pour « ne pas être allemand ». Quant aux grands-oncles « martyrs » de la Révolution, il s’agit bien de prêtres réfractaires au serment, les frères Nachin, mais ils se sont simplement réfugiés dans des grottes, ravitaillés par les villageois, attendant que les choses se calment, ainsi qu’il est souvent d’usage dans le Doubs pendant les périodes troublées !

article Léon

Voici donc l’article en question, reproduit intégralement :

 

Un arrière-neveu de deux prêtres martyrs de la Révolution

 Le 20 mai 1915, au bois d’Ailly, tombait au champ d’honneur, Léon Mühr, de Guillon-les-Bains, sergent au 171e d’infanterie, cité à l’ordre de la brigade, en ces termes: « Au combat du 20 mai 1915, à la Maison-Blanche, bois d’Ailly, est resté à son poste de combat sous un violent bombardement. A été tué. »

Cette citation donne droit à la Croix de guerre avec étoiles.

Léon Mühr appartenait, par son père, à une très honorable famille alsacienne, comme son nom l’indique. Son grand-père avait quitté sa province pour ne pas être allemand. Du côté maternel, famille Pahin-Mourot, il tenait à notre Franche-Comté, et deux de ses grands-oncles, prêtres, avaient été victimes de la Révolution pour n’avoir pas voulu prêter le serment civique. Avec de telles attaches, le jeune homme ne pouvait déchoir, aussi était-il le modèle des jeunes garçons de la paroisse.

A la tête de la Jeunesse catholique, intelligent, actif, dévoué, Léon Mühr était le bras droit de son curé, et le parti libéral avait en lui un solide appui. Hélas !

la mort a renversé toutes les belles espérances qu’on était en droit de fonder sur lui et laisse inconsolable sa pauvre mère, dont il était, à juste titre, tout l’orgueil.

« Jusqu’au bout, je ferai mon devoir de chrétien et de Français, écrivait-il peu de temps avant sa mort ; je ne crains pas la mort, je suis prêt. »

Faire son devoir de chrétien et de Français. Tout Léon Mühr est dans cette phrase. Aussi ses camarades lui ont-ils rendu ce témoignage d’être pour eux une « force morale ». C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire de ce jeune homme au visage si franc et si loyal.

Puisse Dieu lui donner la gloire des élus et à celles qui le pleurent, mère, tante, alliées, la résignation et la force de supporter la douloureuse épreuve comme Léon Mühr l’aurait voulu lui-même : chrétiennement.

Nous offrons aux familles Mühr et Pahin-Mourot nos bien sympathiques condoléances.

( Croix franc-comtoise, Eclair comtois, Dépêche et Semaine religieuse de Besançon.5 décembre 1915)

 

 

 

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Léon Mühr, comme deux millions d’autres poilus s’est vu décerner la Croix de guerre.

« Créée en 1915, pour récompenser l’octroi d’une citation par le commandement militaire, pour conduite exceptionnelle ou exploit particulier. Essentiellement conférée aux militaires ayant obtenu, pour fait de guerre pendant la durée des opérations contre l’Allemagne et ses alliés, une citation à l’ordre d’une armée, d’un corps d’armée, d’une division ou d’une brigade.

  • croix en bronze, à quatre branches, deux épées croisées, effigie de la République coiffée d’un bonnet phrygien et d’une couronne de lauriers. Au revers, les années de service. Ruban vert à liseré rouge et à cinq rayures rouges verticales…Peut être ornée d’étoiles et de palmes, dont le nombre varie selon le type de citations… » (Jean-Louis Beaucarnot, Nos familles dans la Grande Guerre)

 

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Cette croix et la médaille militaire (qu’il a également reçue mais qui a été perdue) ont fait l’objet d’une remise tardive

puisque Jean Menneglier, né en 1917, a relaté dans ses souvenirs la scène suivante :

« J’étais à Guillon, probablement au moment où j’étais resté une partie de l’automne avec la tante Félicie, lorsque deux gendarmes à cheval étaient            venus            apporter            les décorations de son fils Léon tué à la guerre. Je revois encore les deux magnifiques chevaux à la croupe luisante attachés le long du mur du potager. J’étais resté dehors. Les gendarmes sont demeurés un bon moment et quand ils sont partis la tante Félicie avait les yeux tout rouges et écrasait une dernière larme sur sa joue en les raccompagnant après leur avoir payé l’inévitable « goutte ». La tante mit ces décorations dans un cadre placé bien en évidence dans le « poêle ». Il s’agissait de la médaille militaire et de la croix de guerre. »

Le « poêle » c’était la pièce à vivre de la maison, celle qui était chauffée par le poêle. Il s’y trouvait donc les décorations de Léon, sa photo, et un cadre contenant la copie d’un article de presse dont je parlerai dans le prochain article.

L’autre inscription sur un tableau d’honneur fut celle sur le monument aux morts de Cusance, regroupant les citoyens du « Val » tués au champ d’honneur. Il a la forme d’une tombe et cette photo de novembre 2015 le montre pavoisé.

monument Leon

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Une fois la tragédie consommée, il fallait informer les familles des soldats morts au front.

« Un télégramme officiel était acheminé en mairie par les gendarmes à cheval »,  indique Jean-Louis Beaucarnot dans son ouvrage  Nos familles dans la Grande Guerre ; dans les communes rurales c’était le rôle du maire que d’aller porter « avec tous les ménagements désirables » la funeste nouvelle. On rapporte que certaines mères s’évanouissaient à la seule vue du maire s’approchant de leur domicile !

A partir de cette annonce on cessait de trembler et on commençait à pleurer.

Quelques jours après le 20 mai ce fut le tour de Louis et de Félicie Mühr de prendre pour le reste de leurs jours le deuil de leur fils unique.

A la Toussaint 1915, ils se rendirent sur sa tombe à Vignot, comme en témoigne une carte postale adressée à leurs cousines Marie et Adèle.

 

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Vers cette époque fut éditée une image pieuse à la mémoire de Léon ; celle-ci comporte à son verso un florilège de citations destinées à la consolation des familles croyantes, dont faisaient partie les parents de Léon.

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Après la bataille, le journal de marche mentionne à la date du 22 mai :

« les 1ère et 2e compagnies qui occupaient les tranchées de la Maison Blanche se rendent à Vignot »

Sans doute emportent-elles avec elles les corps des camarades morts pendant les combats. La fiche matricule de Léon mentionne en tout cas : « inhumé à Vignot (Meuse) ». Cette localité, au pied du bois d’Ailly , cantonnement apprécié des poilus, a fait l’objet d’un article précédent (Cantonnement à Vignot).

Si l’on en croit un article hagiographique paru dans la presse du Doubs, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir, Léon était apprécié de ses hommes, pour lesquels il était « une force morale » ; on peut donc penser que son enterrement a été l’occasion d’une scène comme celle décrite dans ce poème, intitulé :

Le Copain

On t’a porté la nuit, par la marne pouilleuse.

Tes bonshommes pleuraient. Leurs rudes mains pieuses,

Timides, t’effleuraient, comme un petit qui dort ;

Leurs genoux cadencés ballotaient ton front mort,

Et ton sang clair coulait le long de nos chaussures.

Ta capote n’avait qu’une croix pour parure,

Les étoiles du ciel regardaient par les trous !…

Mais nous sommes tombés pour prier, à genoux,

Quand j’eus pris sur ton cœur les lettres de ta mère,

Et qu’on vous eut mis toi, puis ta jeunesse, en terre.

Et fermant pour toujours les clartés de tes yeux,

J’ai simplement, comme auraient fait les pauvres vieux,

Mon héros de vingt ans, baisé ta chair de marbre !

Et j’ai laissé ton âme à l’âme des grands arbres !…

(Paul Verlet)

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La description des combats du 17 mai au Bois d’Ailly prend cinq doubles pages dans le journal de marche: la violence des combats, l’enchevêtrement des différentes troupes en présence se lisent entre les lignes de cette prose administrative.

Bilan :  conquête de deux lignes successives de tranchées ennemies bien défendues, prise de 250 hommes dont 3 officiers et de 3 mitrailleuses.

« Malheureusement les pertes furent sensibles » : 2 officiers tués, 3 autres blessés, 300 hommes hors de combat, parmi lesquels Camille Gillet (cf article précédent : « La lettre de Jules Gillet » )

Résultat jugé insuffisant, il va falloir repartir à l’attaque  (« le but de l’opération du 20 mai est d’enlever le 2e objectif qui avait été donné le 17 mai »).

Le 20 mai, à l’aube « les 1èr (celle de Léon)et 2e compagnies, avec le commandant du 1er bataillon (Pedelmas) se rendent à la tranchée de la Maison Blanche »

Les combats feront rage toute la journée et  je vais donner à nouveau la parole à Charles Galliet :

« Et puis ce fut l’heure H dans le secteur de la Maison Blanche, l’heure atroce où la mort choisit ses victimes parmi ceux que le sort a jeté dans l’attaque sur le terrain cahotique et nu, arrosé de mitraille, de grenades et d’obus ; l’heure où le cerveau dilaté par tous les bruits de la bataille, excité par l‘action de tous, on bondit, on se terre, on tire, ne sachant plus très bien au juste les gestes que l’on fait…

…Le régiment fit deux cents prisonniers ; mais on ne sut pas le chiffre de ses morts ; la compagnie perdit quinze hommes et treize blessés, et parmi les morts notre petit caporal fourrier bisontin Hintzy de la classe 14, pauvre jeunot qui avait été si heureux de porter à Euville ses galons neufs et qui tombait quatre vingts jours après. Ainsi allaient les destins. »

Ce fut aussi ce jour-là le destin de Léon Mühr.

Sa fiche militaire mentionne en effet : «  Au combat du 20 mai à la Maison Blanche Bois d’Ailly est resté à son poste de combat sous un violent bombardement, a été tué. »

Le Lieutenant Colonel Suberbie dans le Journal de Marche écrit tristement :

« Observations :

Les deux attaques faites le 17 et le 20 mai par les mêmes troupes qui occupaient les tranchées et qui n’ont pu prendre aucun repos depuis 4 jours ont été cause d’une fatigue extrême pour ces troupes.

Le Régiment a perdu depuis 4 jours 11 officiers tués ou blessés et plus de 500 hommes . »

Ce qui représentait un sixième de ses effectifs !

« Et c’est ainsi, constate amèrement le témoin Charles Galliet, que dans le grignotage de la guerre coulait goutte à goutte le sang de la jeunesse de France dans une hémorragie journalière que l’arrière ignorait. »

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Le 17 mai, le 171e RI remonte donc au front ; la bataille mal préparée est effroyable et plutôt que de recopier le journal de marche, je vais livrer ci-dessous –dans son intégralité- le récit haletant, poignant, d’un soldat vosgien, Jules Gillet , qui raconte, dans une longue lettre à son épouse (reproduite dans le recueil « Paroles de Poilus »), le combat des premières heures qui a coûté la vie à son frère Camille :

« La Croix St Jean le 19 mai 1915

Aujourd’hui, j’ai un peu de courage et je vais te raconter le bilan des trois journées terribles et d’enfer, où j’ai cru ne jamais te revoir. Comme je t’ai écrit, dimanche nous devions attaquer dans le bois d’Ailly si tristement célèbre, et qu’on peut appeler le tombeau du 171e. Comme toujours, nous allions pour réparer la lâcheté du 8e de ligne et du 73e, qui sans tirer un coup de fusil ont abandonné le terrain que nous avions conquis au prix de pertes terribles depuis le mois d’octobre dernier. Quand on nous a rappelés de Blainville, les Allemands les ont attaqués, ils se sont tous rendus, plus de sept cents, les Allemands nous ont enlevé plus d’un kilomètre de tranchées, avec tous les boyaux de communication. Enfin, nous partions dimanche à midi de Vignot, on nous a fait coucher dans le bois jusqu’à la nuit, et nous étions bien tristes nous deux, mon pauvre Camille à chaque instant, nous nous faisions de nouvelles recommandations en cas de malheur, puis nous partons, nous marchons jusqu’à deux heures du matin. Notre artillerie faisait de terribles ravages au dire de plusieurs officiers, on n’a jamais vu de bombardements pareils, nous étions tous à moitié fous. Nous arrivons enfin au point où nos lignes s’arrêtaient, on nous donne le signal de la charge, et nous partons après nous avoir serré la main une dernière fois. Nous bondissons dans le feu des mitrailleuses des Boches embusqués dans leurs tranchées, la première ligne se rend au bout de quelques minutes, nous faisons neuf cent dix prisonniers et nous prenons deux mitrailleuses, là nous respirons cinq minutes et on repart plus loin, malheureusement un bataillon qui devait nous renforcer n’a pas voulu marcher, et, réduits à nous seuls le succès n’a été que partiel. Nous avons encore pris une autre tranchée et à la moitié d’un boyau de communication qui relie une autre tranchée allemande, justement, ma section se trouve dans le boyau, point dangereux entre tous. Les Allemands sont à trois ou quatre mètres de nous et tout homme qui est vu est un homme mort, nous sommes toujours ensemble, Camille est brave aussi, par moment il faut se découvrir pour tirer et ils n’arrêtent pas. Les cartouches manquent, nous prenons les fusils des Allemands, des prisonniers et des morts, et nous les tuons avec leurs munitions. Vers 10 heures du matin un homme de liaison du commandant vint disant qu’il faut tenir  « à tout prix » et que l’on se prépare, les Allemands ont reçu du renfort et vont contre-attaquer. Nous sommes à peu près cent hommes dans ce boyau et un régiment de la garde vient sur nous, et il est forcé de passer sur nous s’il ne veut pas se découvrir. Notre artillerie commence à les exterminer dans leurs tranchées, c’était horrible, les bras, les jambes, tout volait en l’air, et les cris affreux, alors ils se lancent sur nous avec des boîtes à mitraille, nous étions au bout du boyau, les premiers tombent sur nous, j’étais comme fou, les camarades tombent tout autour de moi, je ne vois plus rien, mais chose curieuse, je n’avais pas peur. Je comprenais que si nous lâchions, nous étions aussi sûrement perdus, et pour tirer plus juste nous montions sur le talus de la tranchée. Là nous les tuons au fur et à mesure qu’ils avancent dans le boyau où ils ne peuvent passer qu’un à un. Mais leurs bombes tombent toujours et c’est terrible de voir les camarades hachés, je suis tout couvert de sang. Camille   à côté de moi tire sans arrêter ainsi que les autres qui restent debout. Quand là, malheur ma Louise, j’ai eu la plus grande peine, mon frère tombe à la renverse dans mes bras. Il vient de recevoir une balle dans la tête, et tu sais qu’elles ne pardonnent pas, je le panse tout de suite, hélas il n’a pas souffert, il avait un trou comme un œuf et j’étais tout couvert de cervelle. Ah! le malheureux, je le vois toujours devant moi, il n’a pas souffert et tout de suite il est mort en vomissant du sang de la bouche, du nez et des oreilles. Je l’ai recouvert de sa couverture puis j’ai demandé au lieutenant pour sortir la nuit et l’enterrer à un endroit où on puisse le retrouver, il n’a pas voulu me laisser sortir, disant que je courais à une mort certaine. Les Boches lançaient des fusées éclairantes à chaque minute, enfin, fou de désespoir, ne sachant comment faire, je me suis mis à creuser un trou derrière la tranchée, et là, je l’ai enterré avec ma petite croix et la prière d’un fou, car, à ce moment-là, je n’étais plus en moi. Si je reviens, je saurai bien le retrouver mais, hélas, nous sommes destinés à finir ainsi, ma pauvre femme, et jamais je ne te reverrai. Si tu veux, fais part de ma lettre à Blanche, ou si tu n’as pas la force de le faire , donne la à une de mes sœurs, pour moi je n’en peux plus, et je n’ai pas la force de lui dire. Je lui ai écrit une carte où je lui dis qu’il est dangereusement blessé, ça la préparera un peu. Je termine, ma Louise, faute de place et de temps, je crois que nous y retournons encore aujourd’hui, ou demain matin. C’est terrible, et on ne peut qu’obéir, et plus tard si je suis encore là, la suite de ces terribles journées. Dis bien à Blanche qu’il a été vengé, car j’en ai descendu je ne sais combien, tu peux penser, nous n’étions qu’à quelques mètres et je te jure qu’autant se montraient, autant tombaient, et je ne sais comment je suis encore là. Je suis tout couvert de sang, la figure et les mains. C’est affreux. Au revoir, ma Louise, ou plutôt adieu

Ton Jules »

Voilà! Ils y retourneront demain…