Historique du front

Ici finit mon récit

Je vous ai raconté une tragédie : on savait dès le départ que le héros de l’histoire ne s’en sortirait pas vivant.

Toutes les épreuves rencontrées l’auront changé, auront transformé le jeune homme insouciant en héros mort pour défendre sa patrie, faisant avec ses camarades un rempart de leurs corps contre l’invasion…

Léon Mühr fut courageux mais n’a été que l’un des 1 400 000 soldats français tués pendant la Grande Guerre : il faudrait trois jours et trois nuits pour les faire tous défiler sur les Champs Elysées !

Ne pas oublier non plus les 4 millions de blessés, voire davantage si l’on en croit certaines sources et si l’on y ajoute les blessés psychiques, moins visibles, dont les familles eurent à souffrir de leurs dépressions post-traumatiques (entraînant  souvent alcoolisme, violences), blessures qui ont laissé des traces dans leur descendance parfois jusqu’à aujourd’hui.

MERCI A EUX !

Si l’on élargit l’angle : la première guerre mondiale a fait  40 millions de victimes dont 19 millions de morts, parmi lesquels plus de 2 millions d’Allemands.

Alors, merci à l’Europe qui rend aujourd’hui inimaginable la prise des armes contre nos voisins et merci à Franz Marc, soldat bavarois mort à Verdun en 1916, qui peut-être fut un des adversaires de Léon dans les tranchées du Bois d’Ailly, de nous avoir laissé ce tableau intitulé « Chevaux bleus », peint en 1910, qui figurait à l’Exposition « LA BEAUTE SAUVERA LE MONDE» au Musée des Beaux Arts de Tournai (2013).

 chevaux bleus_NEWLa beauté sauvera peut-être le monde… mais il y a encore du travail!

Historique du front

Ici finit mon récit

Le 12 juin, après une quinzaine de jours passée à alterner les séjours dans les tranchées avant et celles de réserve au Bois d’Ailly, le Régiment quitte définitivement ce lieu de souffrance, par un train pris en gare de Sorcy.

Il rejoint, toujours dans la Meuse, un secteur tranquille : le Bois des Chevaliers. Là raconte Charles Galliet, les soldats se heurtent à des ennemis coriaces : les poux !

Mais « ceux qui avaient passé là avant nous, n’ayant pas connu le continuel souci de la lutte, avaient aménagé pour leur bien-être le terrain dont les coteaux boisés ne convenaient pas aux attaques d’infanterie ; on y trouvait des constructions pour toutes saisons : des cavernes spacieuses dans lesquelles les occupants avaient apporté des pays voisins évacués, des tables, des bancs, des glaces, des livres ; et les installations d’été, en surface, pagodes d’osier, hamacs entre les branches, il ne manquait que des fleurs pour compléter le décor. »

En septembre ce sera le départ pour le front champenois. Le 24 septembre, Joffre donne l’ordre d’une grande offensive dans ce secteur :« Allez-y de plein cœur pour la délivrance du sol de la Patrie, pour le triomphe du droit et de la liberté. » écrit-il.

Mais une fois encore ce fut un fiasco et le 171e perdit son colonel et quatorze officiers.

« Après cette hécatombe de chefs et les deux tiers de l’effectif des hommes perdus, que pouvions nous faire encore ? » dit Charles Galliet.

Encore une vaine offensive !

Le séjour en Champagne, boueuse, pouilleuse, pendant lequel la troupe fit connaissance des gaz asphyxiants et manifesta ses premiers signes d’insubordination, dura jusqu’en juin 1916 où le 171e fut envoyé à Verdun; il participa à cette grande bataille pendant cinq jours seulement, du 23 au 28 juin, mais ce furent cinq jours d’enfer dont voici un petit échantillon (toujours sous la plume de Charles Galliet) :

« Les détonations ébranlaient les cerveaux, surexcitaient les nerfs, les yeux s’enfonçaient égarés sous leurs orbites, les faces tirées devenaient jaunes, les oreilles assourdies (…) nous étions sans volonté, sans appétit, consumés par la fièvre, ne vivant que de l’eau de nos bidons saturée de poudre de café ». L’ordre du Colonel était de « mourir sur place plutôt que de céder un seul pouce de terrain ».

Les pertes à Verdun furent telles qu’une compagnie fut supprimée dans chaque bataillon : triste solution puisqu’il n’était plus possible de combler les pertes par de nouveaux renforts venus de l’arrière.

Le 22 juillet 1916, le 171e RI quitte définitivement la Meuse pour la région de Soisson.

Le 20 septembre, dans la Somme, il résiste à une violente contre-attaque allemande dotée de gros moyens en artillerie, aviation et troupes fraîches.

En mai 1917, le Régiment participe à la bataille du Chemin des Dames et remporte même, encore une fois moyennant de cruelles pertes, certains succès à cet endroit.

De juillet 1917 à janvier 1918, ce sera le difficile et froid secteur des Vosges, où l’on tentera encore d’enfoncer vainement les lignes allemandes.

En mars 1918 reprennent les grands combats, pour le 171e ce sera dans la Somme (Sauvillers, Mongival, Thory) : combats au corps à corps et pugnacité des Allemands qui tentent de reprendre du terrain . Le 1er bataillon, qui fut celui de Léon Mühr, est à peu près anéanti, mais le 4 avril, le 171e RI se trouvant en première ligne et « les actes de dévouement atteignant les limites du sublime », l’offensive allemande est arrêtée. Une fois de plus cette troupe de valeur « a sauvé la situation et bien mérité de la Patrie », ce qui lui vaudra citations et fourragères aux couleurs de la Croix de Guerre.

En juillet 1918 : secteur de Cantigny, où l’on recueille prisonniers allemands et renseignements.

En aôut, les Allemands ayant faibli, ils sont poursuivis et la localité de Montdidier est libérée ainsi que celle de Laucourt (nouvelles prises de soldats allemands).

Puis la position stratégique de la Panneterie sur le canal du Nord est enlevée début septembre malgré la défense opiniâtre de l’ennemi.

Le 24 septembre, en première ligne, de concert avec le 2e Régiment d’Infanterie légère Britannique de Durham, le 171e reprend des positions dans le secteur de Douai, puis au prix de pertes sévères, juqu’au 27 septembre continue à avancer devant St Quentin ; des « coups de main » permirent alors de gagner 1500m de terrain et de faire de nombreux prisonniers. Le 1er octobre, St Quentin est repris et le Lt Pichot du 1er bataillon entre le premier dans la ville.

Jusqu’au 12 octobre, dans ce secteur, il sera encore beaucoup demandé au 171e RI qui finira par tomber enfin sur un village fraîchement abandonné par les troupes allemandes : le bureau de l’ « Ortskommandantur » déserté avec toutes sortes de documents encore en place !

Après un court repos, le régiment se trouvera à La Capelle le 7 novembre où il accueillera les parlementaires allemands venus demander l’armistice :

« A 20h10, la mission de parlementaires allemands est aperçue sur la route venant d’Haudroy. La pemière section de la 3e compagnie est déployée de part et d’autre sur la route. Cinq automobiles avancent à toute allure, les phares sont éclairés, un immense drapeau blanc flotte sur la première voiture, un trompette allemand debout sur le marchepied sonne le « Cessez le Feu ». 

L’historique du 171e RI conclut dithyrambique :

« le Régiment a ainsi le grand honneur de recevoir à ses avant-postes l’Allemand vaincu et démoralisé qui venait implorer l’armistice et la cessation des hostilités.

Soldats du Haut-Rhin, du Doubs et de la Haute-Saône qui composiez à la mobilisation le Régiment ; soldats de toutes les régions de France qui êtes venus combattre sous son glorieux drapeau, vous pouvez être fiers du 171, il a bien mérité de la Patrie.

C’est un Régiment qui s’en va gaiement  (sic) « EN AVANT »

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 Il serait intéressant de connaître combien, parmi les trois mille hommes qui composaient le 171e Régiment d’Infanterie le 1er août 1914, étaient encore en vie et indemnes le 11 novembre  1918!

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Jamais les soldats, partis en août repousser l’ennemi par une campagne prévue rapide, n’auraient imaginé se trouver encore au front à Noël! Triste Noël que celui de 1914: blottis dans les tranchées, les soldats auront tout loisir de se rappeler à quel point cette fête pouvait être douce au sein de leur famille.

Le Pape Benoît XV, fraîchement nommé pour succèder à Pie X, dont on peut dire qu’il était mort de consternation juste après la déclaration de guerre, avait bien essayé par discours et encyclique d’enjoindre les belligérants de cesser le combat. Ayant échoué, son discours pacifiste étant inaudible par toutes les parties en présence, même catholiques, il tenta de négocier à tout le moins une supension des combats le 25 décembre: que les armes se taisent une journée pour faire place au recueillement, est-ce trop demander ? Mais les réponses à cette proposition furent au mieux dilatoires, au pire négatives, chacun des pays se jugeant dans son bon droit et pressé d’en finir avec le camp d’en face : il n’y eut donc pas de trève de Noël .

Et pourtant ce que les chefs militaires et politiques avaient refusé officiellement, les hommes vont le réaliser spontanément : la nuit de Noël, sur plusieurs endroits du front, des scènes de fraternisation eurent lieu entre ceux qui, la veille encore échangeaient coup de fusil et obus. On chante d’une tranchée à l’autre des chants de Noël, on s’applaudit, parfois on s’avance entre les lignes pour échanger des cigarettes et du chocolat. Les journaux anglais, trouvant cela chevaleresque en rendront compte ; du côté français, tout fut fait pour minimiser ces « incidents » et , officiellement du moins, il ne s’est rien passé pendant la nuit de Noël 1914.

Léon dans sa tranchée, transi de froid car il gelait depuis le mois de novembre dans la Meuse, aussi fervent chrétien que patriote, a du se poser bien des questions sur la nécessité où il était de tirer sur des soldats bavarois, catholiques comme lui. On ne sait pas si, au Bois d’Ailly, il y eut des échanges entre les lignes ennemies, situées à quelques dizaines de mètres de distance ; en tout cas le journal de marche n’en dit rien.

Le 171e régiment d’Infanterie eut un tué pendant la journée du 25 décembre.

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medaille

A la fin du mois d’aôut 1914 l’Armée française est en très mauvaise posture. En Allemagne l’opinion est surchauffée et l’entrée à Paris (qui a déjà fait l’objet de frappe de médailles !) ne paraît plus être qu’une question de jours. Mais comme le remarque lucidement  von Falkenheyn, Ministre de la guerre du Reich : « ce n’est pas une bataille gagnée, c’est une retraite méthodique des Français ». Il faut donc avancer pour confirmer ces premiers succès et c’est ce que font les troupes de von Kluck à la vitesse soutenue de 30 à 40 km par jour.

Le Général Gallieni qui vient d’être nommé gouverneur militaire de la place de Paris demande à Joffre trois corps d’armée pour pouvoir défendre la capitale. Celui-ci fait la sourde oreille, préférant garder tous ses moyens pour sa grande controffensive qu’il prévoit… vers le 7 septembre, sur la Seine, laissant ainsi la ville hautement symbolique à la merci des Allemands. Il aimerait même qu’elle soit déclarée « ville ouverte »; le Gouvernement a d’ailleurs été prié d’évacuer à Bordeaux. Gallieni, soutenu par les élus parisiens de toutes tendances politiques, insiste et s’apprête à défendre Paris par tous les moyens : « J’ai reçu le mandat de défendre Paris contre l’envahisseur. Ce mandat, je le remplirai jusqu’au bout . » proclame-t-il sur les murs de la ville.

C’est alors que le 3 septembre au soir, des aviateurs et des cavaliers informent les autorités (le GQG et Gallieni) que la 1ere armée de von Kluck infléchit sa marche vers le sud-est et semble négliger Paris. Gallieni semble avoir le premier pris la mesure de cette grave erreur de l’adversaire et obtient de Joffre de pouvoir envoyer la 6e armée de Maunoury sur le flanc de von Kluck, au nord de Meaux. Joffre par ailleurs, et malgré l’avis de certains de ses conseillers, décide de ramener sa controffensive sur la Marne et de l’avancer du 7 au 6. Il ira également, le 5 septembre, taper littéralement du poing sur la table au QG du britannique French pour obtenir son aide dans la grande bataille qui se prépare : «L’honneur de l’Angleterre est en jeu, Monsieur le Maréchal ! ».

L’affrontement  – qui impliqua deux millions d’hommes – fut terrible sur tous les points d’un front de plus de 200 km de large: les généraux Castelnau à Nancy et Sarrail à Verdun défendirent leurs positions avec la dernière énergie. Quant à Foch, en Champagne il dut lui aussi à sa pugnacité, frôlant l’inconscience, de ne pas céder du terrain dans les marais de Saint Gond. Sur la Marne, les Allemands tiennent bon mais n’en peuvent plus. Von Kluck leur envoie des renforts et ce faisant crée un trou béant devant les Anglais qui se hâtent avec lenteur pour rejoindre le front (ils mettront trois jours pour parcourir 20km !). La 6e armée de Maunoury est à bout de ressources (malgré les renforts anecdotiques des fameux « taxis ! » que Gallieni avait eu l’idée de réquisitionner pour amener des troupes sur le front) et ne peut plus qu’essayer de tenir. Heureusement le Général Bülow doit céder devant les Anglais qui passent enfin la Marne et les Français reprennent Château-Thierry ; von Kluck doit lâcher prise. C’en est fait du rêve de victoire rapide, les Français et leurs alliés ont bel et bien arrêté la progression de l’armée allemande… et Paris est sauvée !

Les milieux catholiques ont les premiers parlé du « Miracle de la Marne » et ce terme s’est progressivement imposé, perdant son sens religieux, pour qualifier l’extraordinaire sursaut des Français. Car, comme l’a écrit von Kluck dans un ouvrage destiné à le disculper : « Que des hommes ayant reculé pendant dix jours, que des hommes à demi morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos écoles de guerre. »

 

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On a vu dans l’article « En passant par la Belgique » que les Allemands avaient commencé dès le 5 août 1914 à exécuter leur plan prévu de longue date : se débarrasser rapidement de la France en passant par le nord pour se retourner, chose faite, vers la Russie.

Ces intentions n’étaient pas ignorées des décideurs français, des stratèges militaires en particulier qui multiplièrent dès le début du siècle les rapports et les alarmes. Puisque la guerre était finalement déclarée il aurait été logique de porter en masse l’armée française vers ses frontières du nord de manière à entrer rapidement en Belgique, dès que la violation de la neutralité de celle-ci aurait été patente. Moyennant quoi, les troupes furent concentrées à l’est, laissant les plaines du nord sans aucune protection, d’autant qu’une politique de démantèlement des places fortes de ces régions avait été menée systématiquement. Et l’on partit à la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine (cf article précédent « En Alsace »)…

L’invasion de la Belgique et les appels au secours de celle-ci à bout de résistance laissent de marbre le Général en chef ; il attend, le plus calmement du monde et il y a une bonne raison à cela : il a un plan ! Pour qu’il fonctionne, il lui faut juste gérer l’effroi des généraux, ses subordonnés, et des politiques maintenus à dessein dans l’ignorance de ce qu’il prépare. Au premier rang des inquiets, le Général Gallieni et son successeur à la tête de la 5e armée le Général Lanrezac. Ce dernier ne recevra qu’un silence méprisant en réponse à ses demandes angoissées de porter son armée vers l’ouest pour regarnir les frontières du nord.

Le Ministre de la Guerre, Messimy, qui se ronge les sangs devant l’inertie du Haut Commandement n’aura pas plus de succès. Alors qu’il s’alarmera une nouvelle fois le 19 août de l’importance des forces allemandes en train de passer à Bruxelles, l’adjoint de Joffre, le Général Berthelot, réputé tête pensante du Grand Quartier Général, lui répliquera : « Il est trop tard pour changer notre plan. S’ils passent en masse sur la rive gauche de la Meuse, tant mieux ! Plus ils mettront de monde à leur aile droite plus il dégarniront leur centre ; plus il nous sera facile de les jeter à la mer ! »

Ce faisant il vient de dévoiler « le plan » !

En effet, « Joffre a bien un plan (…) Celui-ci, empreint d’une philosophie napoléonienne qui prescrit de foncer dans le centre de l’ennemi, est vraisemblablement le suivant : laisser les Allemands s’avancer en Belgique, ne surtout pas aller à leur rencontre et ignorer les appels désespérés de l’armée belge; lancer quelques offensives en Alsace et en Lorraine pour fixer un maximum de soldats allemands et faire en sorte que l’aile marchante de l’ennemi chargée de déferler sur la France soit de cette façon considérablement amoindrie; enfin, quand celle-ci sera très engagée en Belgique, attaquer violemment dans les Ardennes belges pour bousculer le flanc central de l’ennemi, couper son armée en deux avant de la détruire. C’est finalement en Belgique que se déroulera la grande bataille qui verra les Allemands désemparés refluer en catastrophe sur leurs bases de départ, poursuivis par les Français. Sur le papier, la victoire est assurée. Sur le papier seulement, car rien ne va se passer comme prévu.

Pour qu’un tel projet soit couronné de succès, il est nécessaire d’évaluer correctement les forces de l’adversaire. Or, c’est là que le bât blesse. Si les armées d’active des deux principaux belligérants sont de taille similaire, en revanche l’armée allemande fait aussitôt entrer en ligne ses réserves quand la France, du fait d’un préjugé tenace sur leur moindre valeur, les tient majoritairement à l’écart des premiers chocs (Cf plus haut : article « En Alsace »). Joffre reconnaît avoir été averti du plan de mobilisation allemand, qui, dans sa version rénovée du 1er avril 1914, précise que les corps armés de réserve marcheront en même temps que les troupes d’active, mais il n’y a pas cru. Avec honnêteté il confessera plus tard cette lourde faute. (…)

C’est sur cette dramatique erreur d’appréciation – une sous-estimation de quelque 400 000 soldats allemands engagés en Belgique – que la guerre commence. »

Jean-Yves Le Naour : 1914, la Grande Illusion, p. 223-224

Le 19 août les choses sérieuses commencent : l’armée française fonce sur les allemands en Lorraine et dans les Ardennes Belges employant la méthode en vogue chez les stratèges français : une attaque à outrance, en grande masse, des fantassins baïonnette au canon . Mais elle tombe, sur un terrain particulièrement malaisé, très accidenté et boisé, sur des Allemands plus nombreux que prévu et bien préparés à la défensive, ayant disposé dans les bois de nombreux canons qui feront un jeu de massacre sur les soldats français.

Pendant ce temps le Général Lanrezac, ayant fini par en obtenir l’autorisation avec quatre jours de retard, s’est installé devant Charleroi, en liaison avec la forteresse de Namur où les Belges tiennent bon. Mais sa situation devient vite impossible car la IIIe armée allemande de Hausen est en train de passer par Dinant pour le contourner. Au nord-ouest l’armée de Kluck (320 000 soldats) déferle depuis Bruxelles sur l’armée britannique (bien moins nombreuse) à Mons. Les Anglais, qui ont retenu la leçon de la guerre des Boers ont préparé leur défensive et encaissent solidement le choc, mais à cause du reflux français se retrouveront bientôt seuls face à l’ennemi.

Tout cela ne facilite pas les relations entre les alliés. La réunion du 25 août au QG du maréchal French à St Quentin est particulièrement tendue et n’aboutit à rien, les Anglais auxquels il a été beaucoup demandé ne faisant désormais plus aucune confiance aux Français en général et à Joffre en particulier.

« Mon Général quel est votre plan ? » demande French abruptement.

« comment , réplique le Général Joffre tout décontenancé , mon plan ? »

Il n’en a en effet plus aucun !

Sauf de constituer à la hâte une 6e armée qui se rassemblera autour d’Amiens.

Mais c’est trop tard ; malgré une offensive réussie de Lanrezac et de sa 5e armée, le 29 août, en direction de St Quentin (« la bataille de Guise ») dont profiteront les Anglais pour filer (à l’anglaise), rien ne parait plus pouvoir arrêter les Allemands dans leur marche vers Paris : le désastre de 1870 semble se reproduire.

A moins d’un miracle ?

Historique du front

Ici finit mon récit

J’ai évoqué précédemment une toute petite partie du front de la guerre : l’Alsace où servait Léon.

Il me semble qu’il faudrait quand même élargir l’angle et voir comment la guerre a commencé ailleurs, sur le front occidental du moins.

Le mois de juillet 14, après l’attentat du 28 juin à Sarajevo, avait vu une activité fébrile des chancelleries, pas en avant vers la guerre, pas en arrière pour la conjurer.

L’Allemagne, cependant, pays où sévissaient toutes sortes de faucons, voyait là le moment opportun, pour une guerre qui lui permettrait de desserrer l’étau dans lequel elle se pensait enfermée. Mais il fallait éviter de se battre durablement sur deux fronts et en conséquence se débarrasser rapidement de la France, ce qui dans l’esprit des décideurs allemands qui se souvenaient de 1870 ne faisait pas de doute.

Fut donc sorti des tiroirs, tout prêt à l’emploi, le plan Schlieffen (du nom de son auteur, un général allemand mort en 1913) : le meilleur moyen d’envahir la France est de passer par les plaines de la Belgique. Pour cela il faut violer la neutralité du royaume. Qu’à cela ne tienne pensent les responsables allemands, le roi Albert, s’il comprend bien son intérêt ne résistera pas. Un ultimatum est donc adressé le 29 juillet à la Belgique, l’enjoignant de ne pas s’opposer au passage des troupes allemandes, sous prétexte d’attaques françaises… qui n’ont pas encore eu lieu. Le roi des Belges, et le gouvernement, pour l’honneur, refusent ce chantage et ordonnent la résistance ; l’Allemagne qui cherchait à terroriser Bruxelles pour s’assurer son consentement a, au contraire, révolté l’orgueil national et provoqué d’impressionnantes manifestations anti-allemandes.

Les Allemands passent la frontière le 4 août et se retrouvent le 5 devant la ceinture de forts de Liège. Les douze citadelles résistant, l’Etat-major allemand plutôt que d’exposer inutilement ses fantassins amène des canons de gros calibres, produits de l’industrie de la Rhur et dont la taille était si gigantesque que les témoins n’en croyaient pas leur yeux. En quatre jours tous les forts de Liège sont pulvérisés avec leurs défenseurs.

Les appels au secours de la Belgique à la France s’étant heurtés à la sourde oreille du Généralissime Joffre (ce qu’il savait particulièrement bien faire !), ce malgré les objurgations des généraux et du gouvernement français, le Général Selliers, commandant les troupes belges, décida de se replier sur le fort d’Anvers, ce qu’il fera le 18 août après avoir résisté au maximum.

Le retard infligé à leur plan par les troupes belges aux Allemands mit ceux-ci de très mauvaise humeur et ils la firent payer très cher à la population civile belge. Sous prétexte de la présence imaginaire de francs-tireurs, des exactions très graves furent commises contre les civils. Un des plus notables étant l’assassinat à Leuven (Louvain) de 248 civils et la destruction d’une grande partie de la ville y compris sa bibliothèque (siège d’une université catholique, elle a été particulièrement visée pour cette raison, un reste sans doute du Kulturkampf protestant qui avait secoué l’Allemagne récemment unifiée).

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Pire encore à Dinant (ville qui me tient à cœur puisque je m‘y suis mariée), 674 civils des deux sexes et de tous les âges ont péri (10% de la population) et la ville a été à peu près réduite en cendres ! Pour la petite histoire, les autorités allemandes n’ont présenté qu’en 2001 leurs excuses officielles à la ville, qui depuis lors seulement place le drapeau allemand sur son pont au milieu des autres drapeaux européens.

Dinant, en août 1914

Dinant, en août 1914

Le courage de la Belgique a provoqué en France une vague de reconnaissance qui a fait fleurir dans de nombreuses villes des boulevards des Belges ou des avenues Albert Ier.

La Belgique, en cette fin d’août 1914 n’est pas complètement hors jeu mais n’est plus en mesure d’arrêter la progression de l’armée allemande en direction de la France. La suite de l’histoire dans un prochain article…

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, la catastrophe est apparue aux contemporains comme une incroyable surprise. La guerre, pourtant, on en parlait depuis des années, on l’évoquait on la redoutait, on dissertait sur elle, mais comme d’une chose abstraite, lointaine. A dire vrai, l’année 1913 avait été si alarmante et si riche en tensions diplomatiques que 1914 avait tout pour rassurer. « Le printemps et l’été 1914 furent marqués en Europe par une tranquillité exceptionnelle », confirme Winston Churchill dans ses Mémoires. Le 12 juin 1914 encore, l’ambassadeur français à Berlin, Jules Cambon, confiait au ministre des Affraires étrangères être « loin de penser qu’en ce moment il y ait dans l’atmosphère quelque chose qui soit une menace pour nous, bien au contraire ». On pouvait donc dormir sur ses deux oreilles après trois années relativement tendues et profiter enfin d’un bel été sans nuages. Mais on se trompait.

Reste une question que l’historien Jules Isaac ne cesse de se poser pour comprendre les origines somme toutes mystérieuses du conflit : « Comment expliquer que la guerre, tant de fois prévue, prédite depuis 1905, quand elle éclata dans l’été de 1914, parut tomber sur le monde comme une avalanche ? » Longtemps pour répondre à cette interrogation, les historiens ont élaboré de vastes constructions politiques, diplomatiques ou économiques démontrant le caractère inexorable et mécanique de l’affrontement, sans toutefois convaincre absolument , puisqu’aucun fait mis en avant ne suffisait à avoir rendu la guerre inévitable. La compétition coloniale ? Mais celle-ci avait d’abord opposé la France à la Grande-Bretagne ! La confrontation des ambitions économiques à l’âge du capitalisme impérial ? C’est oublier que les milieux libéraux prônaient la paix comme plus profitable aux affaires et aux échanges. L’Alsace-Lorraine ? Une vieille lubie qui ne préoccupait plus grand monde, en vérité. L’engrenage fatal des alliances diplomatiques ? On avait pourtant eu le courage d’arrêter cette mécanique lors des crises précédentes, et cela ne disait pas pourquoi on n’avait pas voulu la stopper en 1914. Et tous les historiens d’énumérer avec plus ou moins de conviction ces éléments sans pouvoir dire vraiment ce qui a été déterminant. Avouons-le : si les origines du conflit sont restées insaisissables en dépit des milliers d’ouvrages consacrés au sujet, c’est peut-être parce que les facteurs objectifs sont insuffisants pour comprendre comment la moitié de l’Europe a décidé de prendre l’autre à la gorge. Après tant de grandes synthèses indécises ou erronées, il est temps de mobiliser les ressources de l’histoire culturelle pour envisager de nouvelles pistes. Un fait est certain : l’Europe de 1914 avait peur et c’est certainement de cette peur qu’est née la guerre.

……

Parce que la réalité est ce qu’on croit et non ce qui est, on aurait tort de considérer la peur comme une simple conséquence des tensions européennes alors qu ‘elle en est aussi le moteur, qu’elle agit sur ces mêmes tensions en les exaspérant, en déformant le réel et en faussant les perceptions. L’Allemagne est ainsi persuadée que la France veut la guerre tandis que cette dernière jurerait du contraire, et toutes deux sont de bonne foi. Fantasmant sur sa décadence, terrorisée par une menace slave qui n’existe pas en tant que telle, enrageant contre le revanchisme français qui n’existe plus, l’Allemagne ne voit que la guerre pour se sortir de l’encerclement dont elle se pense victime. C’est pour elle une question de vie ou de mort, du moins le croit-elle. Alors que sa cohésion nationale se disloque, l’Autriche-Hongrie se raccroche à la guerre comme à un formidable moyen de surmonter ses problèmes intérieurs que l’on fait endosser à l’exaspérante Serbie. Pour elle aussi c’est une question de vie ou de mort. Seule la Serbie, justement étonnante de confiance en elle ne craint rien ni personne. Adossée à la Russie qui attend son heure, elle est prête à incendier la terre entière pour faire chauffer sa petite popote sur son petit feu. Et comme la peur est communicative, elle alimente la course aux armements qui finit par se nourrir d’elle-même et au bout du compte, par dévorer ses enfants. La peur crée enfin un climat anxiogène où plus personne n’a confiance dans la parole ni dans la bonne volonté de l’autre, si bien que les chances de sauver la paix s’amenuisent et qu’il est fort probable qu’à la prochaine crise personne n’en aura le courage ni la force. Comme chacun tire de plus en plus fort sur la corde où s’est formé le nœud de la guerre, il arrivera un jour où celui-ci sera si serré qu’il ne sera plus possible de le démêler et qu’il ne restera plus qu’à le trancher. Puisque l’idée fataliste de la guerre inévitable avait peu ou prou conquis les esprits, on pouvait se libérer de l’angoisse en tranchant le noeud gordien…

Tiré du livre de Jean-Yves Le Naour : 1914, la grande illusion (Perrin)