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On y retourne!

Le grand repos à Blainville durait depuis cinq semaines, on se prêtait donc aux rêveries d’un prochain retour chez soi ; d’autant que la rumeur dans le sens d’un armistice courait, colportée par les jeunes femmes venues rejoindre leurs maris : « une dame de Belfort nous en apporta l’espérance, c’était la jeune épouse de notre vieil adjudant… la dame nous conta que tout Belfort parlait de notre retour» relate Charles Galliet.

Lorsque le 13 mai la troupe est, sans préavis, arrachée à son doux cantonnement, on espère donc qu’il s’agit d’un retour au bercail : (toujours Charles Galliet)

« A sept kilomètres de Blainville, en gare d’Einvaux, un train nous attendait, la locomotive sous pression en tête du convoi , était sur la voie en direction de Charmes et d’Epinal – plus de doute possible, nous allions vers l’arrière et l’embarquement fut joyeux …

Quand le train se mit à rouler, emportés par nos rêves, nous pensions lire déjà les noms des stations connues : Epinal, Xertigny, Aillevilliers, Luxeuil et tous ces noms chantaient le refrain du retour ; et puis ce fut étrange, nous ne trouvâmes sur notre chemin que d’autres noms complètement inconnus ; nous n’avions pas de carte et pas de livret –chaix, dans quel jeu de colin-maillard ferroviaire étions nous engagés ?

Nous le sûmes le matin suivant, le 171e RI débarquait en gare de Sorcy, sur le quai les officiers du 1er bataillon dont le train avait devancé le nôtre nous attendaient consternés… Nous revenions au Bois d’Ailly. Personne ne pouvait y croire.

…les officiers savaient (la raison de ce retour, une attaque allemande) ; mais la troupe ignorait tout, sauf qu’elle remontait une fois de plus vers les charniers où déjà s’achevait la désintégration de tant de cadavres de ses morts, et c’était cruel au delà du possible. 

Quand la colonne se mit en marche dans la brume légère du matin de mai, le silence dans les rangs était tel, que l’on aurait pu croire que passait un cortège funèbre… les camarades marchaient, absents et graves, les cerveaux obsédés par la vision des morts, ceux du dernier hiver, leurs camarades dont les noms oubliés leur revenaient soudain et dont ils revoyaient les visages sanglants, les membres et les corps déchiquetés ; ne leur semblait-il pas que tous ces morts arrivaient à leur rencontre sur ce chemin qui conduisait vers ce qui restait d’eux ? »

 

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Le 16 mai au matin, rapporte le Journal de marche, certains officiers sont convoqués à la commanderie pour « s’entretenir d’une attaque avec le Général Blazer, Commandant de la 16e Division » ; leur supérieur hiérarchique, le Lieutenant-Colonel Suberbie, tient à les accompagner.

Il leur est alors dévoilé l’objectif de l’attaque au Bois d’Ailly: « l’ensemble des ouvrages constitués par la Maison blanche, le Fortin et le boyau du génie ».

Le colonel fait remarquer « qu’une pareille attaque qui doit déboucher des tranchées de première ligne, à la pointe du jour, doit être préparée par une minutieuse reconnaissance du terrain » par tous les officiers afin qu’ils puissent ensuite guider efficacement leurs hommes. Le Général de division partage cet avis et prescrit au Colonel Suberbie  de se rendre à Commercy auprès du Général commandant le 8e CA pour lui exposer ces observations en lui faisant remarquer « qu’elles viennent de lui, qu’il n’en a pas parlé le premier, mais qu’il les approuve ». (les guillemets sont dans le texte )

Le Général écoute les observations du Colonel confirmées par les officiers présents, mais, il leur dit que bien que partageant leur avis, des considérations supérieures le forcent à attaquer dans la nuit même (sic).

Une brève reconnaissance aura bien lieu « sommairement dans l’après-midi du 16 mai, de 15h à 18h. », puis les officiers prépareront hâtivement leurs plans d’attaque.

Il y aura deux attaques distinctes, une à l’ouest, une autre à l’est, chacune avec deux objectifs.

L’artillerie préparera la bataille avec des tirs « de vitesse maximum » à trois reprises dans la nuit du 16 au 17. Le Génie répartira ses sapeurs entre les différentes compagnies.

Enfin il est prévu de munir chaque homme « de deux jours de vivres, de 300 cartouches, des explosifs nécessaires et d’un bidon plein d’eau. »

La bataille commencera le 17 mai à l’aube, sur un terrain de tranchées enchevêtrées, comme le montre le croquis ci-dessous.

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Il avait été décidé en haut lieu que la contre-attaque ne pouvait souffrir aucun retard… quitte à sacrifier plus d’hommes que nécessaire dans cette entreprise…

 

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On l’a vu dans l’article précédent (Grand repos à Blainville), certains soldats furent rejoints au cantonnement de repos par leurs épouses. Ce ne fut bien sur pas le cas de Léon Mühr… qui n’était pas marié. Et peut-être est-ce le moment de parler de sa vie sentimentale.

La mémoire familiale n’a gardé aucune trace d’une relation amoureuse de l’intéressé, ni de fiançailles avant de partir au front. Tout ce que l’on peut dire c’est que vers l‘âge de dix-huit ans, il a éprouvé pour sa cousine germaine Adèle une forte attirance, si l’on en juge par les cartes postales qu’il lui adressait. Très jolie comme on le voit sur sa photo, prise dans un studio de photographe, l’intéressée, âgée d’à peine vingt et un an, avait quitté sa famille et son Baume-les-Dames natal pour Chalons-sur-Saône, comme employée des PTT, « demoiselle des Postes » , comme on disait à l’époque.

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« Bonjour ma belle » écrit Léon sur une de ces cartes, et sur une autre « Salut p’tit cœur ». Une troisième, beaucoup plus longue, se termine par « bons baisers belle cousine de ton cousin qui t’aime ». Toutes sont datées de l’automne 1908.

Mais la demoiselle n’a pas du beaucoup encourager les sentiments de ce presque frère, la correspondance ultérieure étant devenue bien plus raisonnable. Et en septembre 1910, n’ayant sans doute plus de nouvelles, il lui écrit même « Es-tu morte ? »

Au printemps 1915, il n’était plus question d’écrire à Adèle, mariée et sur le point d’accoucher de sa deuxième fille Françoise. Les cartes postales s’adressent aux sœurs de celle-ci, célibataires : Marie et Jeanne. Le 31 mars : «  Ma chère Jane (sic) je continue à me promener un peu dans tous les coins ; de temps en temps on se cogne, puis on se retrouve au repos… ». Le 11 mai, à Marie : « … suis au repos et vais toujours bien… ».

Sur aucune il ne manque « affectueux baisers à toute la famille » ou « j’espère que toute la famille va bien », et on peut imaginer que « toute la famille » veut surtout dire « Adèle ».

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Lorsqu’en avril 1915, Le Général Joffre passe en revue les troupes de Lorraine, son aura a déjà perdu une partie de son lustre: les témoins (Madeux, Galliet) se contentent de mentionner sa venue.

Joffre, officier du génie, s’était fait nommer en 1911 chef des Armées françaises, malgré une carrière sans relief et presque sans commandement, les gouvernements républicains faisant passer la loyauté envers le régime avant la compétence . Dès le début de la guerre, le Général est cependant apparu beaucoup moins malléable qu’on ne le pensait et ses nombreux défauts furent mis au jour trop tard: on ne change pas de cheval au milieu du gué!

Excellent logisticien, il réussit à merveille la concentration des troupes lors de la mobilisation, mais la guerre nécessitait d’autres qualités de stratégie et d’imagination dont il manquait singulièrement. Il aurait eu besoin d’être bien entouré mais il n’écoutait personne en dehors de sa camarilla de “jeunes turcs”, colonels d’Etat-major, chauds partisans de l’offensive à tout prix, trop inférieurs en grade pour lui faire de l’ombre.

“Très jaloux de son autorité, il a tenu ses commandants d’armées à l’écart, négligeant de les consulter dans la plupart des cas.” Rapporte Langle de Cary dans ses Mémoires. Sachant être aimable avec les ministres, il est cassant avec ses subordonnés, toute résistance se payant très cher (sanctions et limogeages).

Ses nombreux échecs, à commencer par la bataille des frontières en août 14, menée en dépit du bon sens qui valut à la France d’être envahie et de frôler la défaite d’un cheveu, auraient du le faire écarter par le Président Poincaré et le chef du Gouvernement Viviani, si la miraculeuse victoire de la Marne ne l’avait pas remis durablement en selle. Il faudra attendre la fin de l’année 1916 pour qu’il soit écarté du commandement, gratifié, comme consolation du titre de Maréchal de France.

C’est à son entêtement et à l’incapacité des plus hautes autorités de l’Etat à le contrôler que l’on devra en 1915 au cours de nombreuses “vaines offensives”, la mort de 370 000 soldats au champ d’honneur, 31 000 par mois, pour un gain de 4km en Artois et 5km en Champagne. Ce fut du côté français, l’année la plus meurtrière de la Grande Guerre.

Je les grignote” disait Joffre à propos des Allemands”… les tentatives de Joffre ne furent « pas plus effectives que le grignotement d’un coffre-fort d’acier par une souris, mais les dents qui s’y usaient étaient les forces armées de la France” remarque l’auteur britannique Basil Liddel Hart, plus objectif que bien de ses homologues français.

Maurice Genevoix qui vient de vivre aux Eparges un hiver épouvantable, désabusé, évoque ainsi la revue des troupes par le Généralissime Joffre: “…Ai-je jamais vu dans un cirque de prés entouré de collines, les lignes roides des bataillons en armes, la limousine du Général Joffre, les cuivres des clairons sonnant l’ouverture du ban pour des gloires que nous ne pouvions pas comprendre(…) Nous autres nous ne pouvons plus nous tromper; nous avons trop appris, trop vu; nous n’avons même plus à juger.

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Dans le Journal de marche :

« Du 1er avril au 14 mai, séjour du Régiment à Blainville-sur-l’eau.

Marches – manœuvres – tir à la cible – remise en état de la chaussure, du matériel et de l’armement-

Travaux de tranchées »

Ce programme est confirmé par Paul Madeux : « Je ne m’attarderai pas sur cette vie de cantonnement qui fut consacrée -–comme d’habitude– aux revues nombreuses, aux manœuvres, marches, construction de polygones d’attaque etc… »

Charles Galliet est plus disert :

« C’était le repos, c’était le printemps, mais aussi chaque matin, devant le cantonnement, c’était le rassemblement des hommes partant à l’exercice. Dans les rangs ils étaient là les soldats survivants du Bois d’Ailly ; ils étaient là les rappelés de la mobilisation qui avaient au foyer laissé la femme et les enfants ; ils étaient là, et les mouvements de l’école du soldat exécutés, rassemblés en colonne, ils partaient à travers champs redevenus des bleus manoeuvrant comme si rien en eux ne demeurait des attaches de famille ou des misères des mois écoulés. A chacun son dû, les éducateurs de la IIIe République avaient inculqué dans les esprits une conception du patriotisme dans laquelle l’homme était arrivé à l’oubli de soi. »

 

Mais cependant : « A Blainville le moral était bon… » d’autant meilleur que certains hommes mariés avaient été rejoints par leurs épouses, prévenues par les employés du chemin de fer : « le 171e est au grand repos à Blainville ! », car bien sur, il était hors de question que les soldats donnent eux-mêmes dans leur correspondance, des indications sur le lieu où ils se trouvaient.

Léon quant à lui, se fait à nouveau photographier en pied, dans une tenue impeccable, presque aussi rutilante que celle du poilu de la carte de voeux de 1915! Imprimée sur format carte postale, il envoie aussitôt cette photo à sa maman, avec une jolie dédicace.

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Pendant ce séjour, le 20 avril, le Général Joffre passa le régiment en revue à Vitrimont. Paul Madeux précise que c’est à cette occasion que fut distribuée la tenue bleu horizon en remplacement de l’ancienne à pantalon rouge.

Charles Galliet mentionne aussi l’événement : « Le Régiment rassemblé reçut le salut du Général en chef », cela ne semble pas l’avoir beaucoup impressionné, contrairement à la présence au mess des officiers de l’écrivain nationaliste Maurice Barrès !

Il faut dire que Joffre était, à cette époque déjà, un personnage controversé.

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« Entre Bertrichamps et Moyen, l’étape avait été longue, nous avions traversé le secteur des tombes. Au début des hostilités, au cours de la bataille des frontières en ces régions, trois mille hommes, en quelques heures, Français et Allemands, étaient restés sur le terrain, leurs tombes étaient partout, sur le bord du chemin, sur les coteaux voisins, même jusque dans les jardins et sur toutes celles des Français, on voyait déjà les premières fleurs d’avril apportées sur les tertres. Pourtant il y avait dans un champ, sous la terre fraichement labourée, un monticule sous lequel il était facile de deviner une tombe, et tout près une croix fraîchement arrachée et jetée sur le sillon voisin. Je ne sais si le pauvre diable qui reposait là était français ou allemand ; mais sous la terre retournée sur son corps, l’homme tombé au service de sa patrie finissait enfoui comme un chien, après avoir été d’abord victime du devoir, il l’était encore dans la mort ou de l’ingratitude ou de la haine. »

Cette réflexion de Charles Galliet témoigne des agressions psychologiques subies par les soldats tout juste rescapés d’une sanglante bataille. Et en rappelle une autre :

En février, descendant d’un affreux séjour au Bois-brûlé (voir article éponyme), les soldats avaient eu une horrible vision :

«…nous ne redescendîmes de notre calvaire qu’à la pointe du jour, suivant la route de La Louvière, nous atteignîmes celle de St Aignan à l’heure où se levait le soleil. A ce point, devant nous, c’était au sud de la route de l’étang de Ronval et le chemin du fort de Liouville. Entre l’étang et les pentes boisées du fort, dans les herbes sèches d’une coulée de prairie large de trois cents mètres, une ligne de fantassins couchés, les armes dans les mains. Mais que faisaient-ils là, en lignes de sections dans la plaine, immobiles ?

Ils attendaient depuis cinq mois l’assaut du lendemain, c’étaient des morts dans leurs capotes bleues et leurs pantalons rouges, ils s’enfonçaient lentement chaque jour dans la boue du marais, et nul n’osait s’aventurer près d’eux. La France saurait-elle qu’ils étaient tombés là côte à côte, dans un soir de septembre et qu’ils y avaient fixé son ultime frontière de ces temps douloureux ?

Et ce fut comme si tout s’était conjugué dans ce matin d’hiver pour que chacun de nous emportât cette dernière vision des horreurs du Bois d’Ailly et de la forêt d’Apremont. »

 

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Le journal de marche recopie l’ordre du Colonel qui prend acte de l’échec partiel de l’offensive mais: « félicite tous les officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 171e qui dans la journée du 22 mars et dans les journées pénibles du 23,24,25 et 26 mars ont su maintenir la vieille réputation du Régiment. »

Dans la nuit du 23 au 24, deux sections de la 1ère compagnie (celle de Léon) se sont portées en avant à environ 120 ou 150m de la tranchée et ont construit une nouvelle tranchée permettant de tenir debout. Ces nouvelles tranchées « ont pour but de flanquer plus efficacement la gauche des tranchées à l’est de la route de Malgrejean-Bréménil ». Le journal de marche fait état d’autres consolidations de positions, mais chacune de ces journées du 23 au 26 verra encore son lot de tués et blessés. Le 26, un rayon de soleil avec le dégagement de trois soldats de la 11e compagnie, restés quatre jours et quatre nuits dans les barbelés ! « Ils méritent la médaille militaire« , écrit généreusement le Colonel Suberbie, d’autant que l’un deux après avoir crié « vive la France » a affirmé qu’il y retournerait dès qu’il serait guéri de ses blessures.

Témoignage de Paul Madeux :« Les jours suivants, mon bataillon dut organiser la nouvelle position, c’est à dire poser des réseaux, relever les morts, creuser des abris… C’est là aussi que j’ai vu des boches prendre le guet dans les sapins ; que j’ai vu les premières distributions de « gnôle » et de « pinard « 

A partir du 27 mars le Régiment quitte le secteur et se dirige, par étapes pénibles et redondantes: le 28 à Bertrichamps, le 29 à Neuves-Maisons, le 30 à Bertrichamps de nouveau ( !), le 31 à Moyen, entre ces deux localités une très longue et pénible étape (« La fatigue nous fit dormir n’importe où, même sur des planchers sans paille », toujours Paul Madeux) jusqu’à Blainville-sur-l’eau,  au bord de la Meurthe.

Un peu de repos va-t-il leur être accordé ?

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Le mot « Ambulance » désignait pendant la Grande Guerre le poste de secours médical de campagne, installé près des lieux de combat. Voici une vivante description de son organisation, tiré du livre « Ceux de l’An 14 » de Georges d’Esparbès (Paris, 1917):

 

Un régiment de trois bataillons à quatre compagnies (comme le 171!) vient d’arriver au front ; ses fusils commencent à partir.

Derrière chacun de ces bataillons, on voit le médecin, quatre infirmiers, puis le chef de musique et les brancardiers, au nombre de huit.

En arrière de cette première ligne de combat, se trouve un relais, éloigné de huit cents mètres, avec deux médecins aides-majors et trois infirmiers, plus quelques brancardiers.

Le paysage est celui de tous les champs de bataille : arbres coupés, terrain saccagé, trous énormes ; les couches d’air retentissent comme des plaques de tôle secouées.

Dans cet air de fer, un homme de liaison envoyé par le colonel vient en courant informer le médecin-chef qu’il faut installer un poste de secours.

Aussitôt le médecin-chef, le chef de musique, les brancardiers et tout le personnel de la formation sanitaire montent sur les voitures réquisitionnées, et se dirigent au grand trot en arrière du relais, à un kilomètre de distance environ, pour y former le poste de secours réclamé par le colonel.

D’un coup d’œil le médecin-chef choisit son poste : de préférence, une ferme en rase campagne, ayant si c’est possible, un filet d’eau à proximité. Halte !

Tout le personnel saute à terre. Les voitures médicales se rangent, chevaux non dételés. La grange s’ouvre ; on enlève les herses, les râteaux, tous les ustensiles de fermage. Chacun organise comme il peut soit un support, soit une table. Les uns déchargent les paniers de pansements, les autres préparent des boissons chaudes, du café, du thé. La paille est éparpillée sur le sol.

Cela a été exécuté en cinq minutes. Chacun sait ce qu’il doit faire, et le fait. Au loin la foudre gronde. Le médecin-chef désigne un homme de troupe et le place à la porte de la grange, pour recevoir les armes des blessés, les décharger. Désigné à son tour, un homme va se poster à deux cents mètres en avant, pour faire connaître aux blessés lorsqu’il arriveront, l’endroit où se trouve l‘ambulance ; c’est « l’indicateur ».

Voilà… il n’y a plus qu’à attendre les premiers blessés, ils ne vont pas tarder !

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Comme il faut toujours faire confiance aux artistes pour exprimer l’inexprimable, je reproduis ci-dessous un poème de Paul Verlet (1890-1923), intitulé « Bleu, Blanc, Rouge »,  qui fait écho à l’article précédent (la Mort des Camarades):

Dans les ronces, plié, depuis deux mois déjà,

Raidi, pend ton corps, tel qu’un mauser le figea.

Chaque nuit, mort damné, brave et bon camarade,

Les bombes, les fusants et les deux fusillades,

Avec acharnement reviennent te faucher.

Jamais ils n’ont permis qu’on aille te chercher.

 

Dans ce chaos des deux réseaux qui s’enchevêtrent,

Dans ce jour qui, crûment, te profile à dix mètres,

Par toi déchiqueté, mon frère aux sept douleurs,

Soudain j’ai lu le sens écrit des trois couleurs :

Bleu paisible du ciel que raidit ta capote,

Blanc de ton front de marbre, eau pourpre qui clapote !

 

Et seul, j’ai salué par le trou du créneau

Ton corps décomposé, plus vivant qu’un drapeau.

 

 

(tranchée du Mont-Doyen, mai 1915)

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Au soir du 22 mars, il ressort que l’attaque a échoué : une maigre avancée des lignes s’est soldée par de nombreux morts et blessés.

Paul Madeux, du 2e bataillon placé en réserve et n’ayant donc pas participé à l’attaque (pas plus que Charles Galliet désigné pour rester garder le cantonnement) écrit dans son carnet :

« le soir même, quand , après avoir rampé, nous arrivions vers nos camarades pour les relever, nous constations que beaucoup d’entre eux étaient étendus à jamais sur le gazon ou accrochés aux réseaux.

Les lignes avaient simplement été avancées de quelques centaines de mètres.”

Les survivants, soulagés bien sur que, cette fois encore, la balle de la roulette russe n’ait pas été pour eux, devront affronter la perte de leurs camarades, avec lesquels ils avaient déjà tant partagé pendant ces longs mois d’épreuves toutes plus horribles les unes que les autres. Les blessés seront évacués vers « l’ambulance », hôpital de campagne chargé des premiers soins ; chaque fois que cela sera possible les morts seront transportés à distance et enterrés le plus dignement possible. Charles Galliet raconte, après une des batailles de décembre : « au sortir du service, groupés devant les tertres, nous entendîmes l’allocution du capitaine, et ceux que n’avaient pas émotionnés les balles, laissèrent se rougir leurs yeux aux paroles dites sur les tombes. »

Mais ce 22 mars, beaucoup de fantassins, accrochés dans les fils barbelés qu’ils n’avaient pas réussi à franchir, y restèrent sans que l’on puisse leur assurer une sépulture, ce qui était considéré comme le sort le plus affreux. Pour montrer à Charles Galliet leur attachement, deux fortes têtes qui lui avaient été confiées, lui avaient assuré : « si vous tombez un jour, nous irons vous chercher même sous les réseaux et nous vous rapporterons, mort ou blessé, nous en faisons le serment « .

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