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Pas de répit pour le 171e

Le 26 décembre donc, tout le régiment descendit à Commercy, jolie petite ville à proximité du Bois d’Ailly, pour y cantonner et prendre à l’abri de la caserne Bercheny un repos bien mérité. Les soldats en profitèrent, après avoir retrouvé une hygiène normale, pour nettoyer et réparer leurs effets.

Cette halte fut cependant de très courte durée: le 2 janvier ordre fut donné à tout le régiment de remonter au Bois d’Ailly. L’étape (16 km), sous la neige, fut rude.

Le 1er et le 2e bataillon s’installèrent directement dans les tranchées et y restèrent jusqu’au 15 janvier.

Le 3e resta en réserve à Pont-sur-Meuse. Chargé le 8 janvier d’aller soutenir le 56e RI dans l’occupation d’un entonnoir créé par un obus,  cette aide s’étant avérée inutile il fut renvoyé au cantonnement à Commercy le 10.

« …était-ce habitude nouvelle, on nous remettait en caserne. Pour combien de temps ? …avoir fait tant de chemin pour si peu de répit, ce n’était pas la peine, on se moquait de nous. » écrit le Sergent-major Galliet, un du 171eRI, dans ses souvenirs publiés dans les années soixante.

Le 11 janvier à 23h, en effet, le 3e bataillon repartit pour le Bois d’Ailly où il arriva le 12 janvier à 7h (après avoir marché une grande partie de la nuit) ; une mission de choix lui était confiée: attaquer le 14 janvier une tranchée ennemie, selon une procédure bien réglée sur le papier par l’Etat-major. Une mine en explosant devait créer un entonnoir au milieu de cette tranchée. C’est la douzième compagnie  qui fut chargée d’aller occuper l’entonnoir et de prendre pied dans la tranchée allemande de part et d’autre de celui-ci. L’affaire réussit tout d’abord, mais les renforts ayant été –une fois de plus- décimés par « un tir malheureux d’une de nos batteries de 75 » (8 morts et 8 blessés dont l’officier, quand même !), et les Allemands ayant contre-attaqué violemment, il fallut se résoudre à se replier.

Pertes pour la compagnie : 1 officier blessé, 86 hommes de troupe tués ou blessés.

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Pas de répit pour le 171e

Au début de la guerre, l’Etat-major français ne comptait que sur l’offensive et n’avait donc pas prévu que les soldats devraient, pour se protéger du feu ennemi, s’enterrer. La troupe n’avait donc jamais été préparée à cela, même si une petite pelle figurait au fourniment militaire (voir article précédent, « les pantalons rouges »).

Très vite, cependant, devant l’impossibilité de déloger l’ennemi de ses retranchements (les allemands, ayant retenu les leçons de la guerre russo-japonaise, avaient dès l’invasion prévu de consolider les positions conquises au moyen de tranchées bien construites et bétonnées), les Français se mirent eux aussi à creuser des sortes de fossés, vite appelés « tranchées ».

Voici un exemple de ce travail, décrit par Maurice Genevoix dans « Ceux de 14 » :

« En cinq minutes nous sommes à la haie d’épines que nous devions atteindre. Nous nous déployons en tirailleurs devant elle, presque dessous. Les hommes, le plus vite qu’ils peuvent, creusent la terre avec leurs petits outils, coupant les racines avec le tranchant des pelles-pioches. Au bout de quelques heures nous avons une tranchée étroite et profonde. »

Une fois creusée, la tranchée pouvait être élargie, étayée par des sacs de terre, du côté de l’ennemi, des abris ou « cagnas » y être aménagées contre la pluie ; de pluie il n’en manquera pas pendant toute la guerre, si bien que la troupe pataugera souvent dans la boue!

On le voit sur la photo ci-dessous, illustrant bien le côté « bricolage » de beaucoup de tranchées françaises.

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Les lignes devaient aussi être étalées en profondeur, réseaux parallèles de première et deuxième lignes, tracés en zigzag pour éviter les tirs en enfilade, reliés par des boyaux de communication.

Pour être prévenus d’une éventuelle attaque, des fils de fer auxquels étaient attachées de boîtes de conserve vides… mais ce dispositif, activé la nuit par le vent ou des animaux empêchait les poilus de dormir !

Au départ du moins, la vie dans les tranchées était loin d’être perçue comme un enfer : après les longues marches laissant les pieds en sang, les attaques meurtrières en rase campagne, elles apparaissaient plutôt comme des refuges: sur le journal de marche, pour les jours passés dans les tranchées peu de pertes humaines sont enregistrées.

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Pas de répit pour le 171e

L’année 1914 se terminant, l’Etat-major découvre qu’il n’y a pas de solutions classiques à la paralysie du front: il faudra patienter jusqu’au printemps pour reprendre l’offensive et –espérons-le- faire un sort définitif à l’ennemi; la défensive a fini par s’imposer sur l’offensive, moins coûteuse en hommes (300 000 Français et 260 000 Allemands sont morts en 1914, ce qui en fait l’année la plus meurtrière de la guerre) mais démoralisante. Chaque camp, dans le froid, l’humidité et l’ennui, tient ses tranchées. Le Généralissime Joffre, patelin, invente un nouveau terme qui fera florès en 1915: le grignotage, dont on a vu quelques exemples dans les attaques peu fructueuses menées en octobre et novembre au Bois d’Ailly.

Les Allemands quant à eux, rêvent d’un plan Schlieffen à l’envers : repartir à l’assaut de la Russie, pour voler au secours de l’Autriche en diffficulté, quitte à dégarnir un peu le front de l’ouest, figé par l’hiver.

Alors vivement 1915 pour que cette guerre finisse !… l’illusion continue

A l’arrière on s’envoie des cartes de vœux comme celle-ci, avec de jolis Poilus à la tenue impeccable, bien rasés et très propres, ce qui n’avait rien à voir avec la réalité et énervait beaucoup les soldats quand ils les découvraient !

nouvel an 2015

Le 26 décembre, les trois bataillons du 171e RI se sont rendus isolément à Commercy pour y cantonner, mais attention, comme l’écrit dans son ordre le Colonel de Certain: « les chefs de bataillons s’efforceront d’utiliser au mieux le temps passé en réserve pour remettre leurs bataillons en main ». Pas question d’un repos amollissant…

 

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Pas de répit pour le 171e

Jamais les soldats, partis en août repousser l’ennemi par une campagne prévue rapide, n’auraient imaginé se trouver encore au front à Noël! Triste Noël que celui de 1914: blottis dans les tranchées, les soldats auront tout loisir de se rappeler à quel point cette fête pouvait être douce au sein de leur famille.

Le Pape Benoît XV, fraîchement nommé pour succèder à Pie X, dont on peut dire qu’il était mort de consternation juste après la déclaration de guerre, avait bien essayé par discours et encyclique d’enjoindre les belligérants de cesser le combat. Ayant échoué, son discours pacifiste étant inaudible par toutes les parties en présence, même catholiques, il tenta de négocier à tout le moins une supension des combats le 25 décembre: que les armes se taisent une journée pour faire place au recueillement, est-ce trop demander ? Mais les réponses à cette proposition furent au mieux dilatoires, au pire négatives, chacun des pays se jugeant dans son bon droit et pressé d’en finir avec le camp d’en face : il n’y eut donc pas de trève de Noël .

Et pourtant ce que les chefs militaires et politiques avaient refusé officiellement, les hommes vont le réaliser spontanément : la nuit de Noël, sur plusieurs endroits du front, des scènes de fraternisation eurent lieu entre ceux qui, la veille encore échangeaient coup de fusil et obus. On chante d’une tranchée à l’autre des chants de Noël, on s’applaudit, parfois on s’avance entre les lignes pour échanger des cigarettes et du chocolat. Les journaux anglais, trouvant cela chevaleresque en rendront compte ; du côté français, tout fut fait pour minimiser ces « incidents » et , officiellement du moins, il ne s’est rien passé pendant la nuit de Noël 1914.

Léon dans sa tranchée, transi de froid car il gelait depuis le mois de novembre dans la Meuse, aussi fervent chrétien que patriote, a du se poser bien des questions sur la nécessité où il était de tirer sur des soldats bavarois, catholiques comme lui. On ne sait pas si, au Bois d’Ailly, il y eut des échanges entre les lignes ennemies, situées à quelques dizaines de mètres de distance ; en tout cas le journal de marche n’en dit rien.

Le 171e régiment d’Infanterie eut un tué pendant la journée du 25 décembre.

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Pas de répit pour le 171e

Le 17 novembre, une action est menée par le Lieutenant Colonel Bénier, nouveau patron du 171e: il a reçu l’ordre d’attaquer le saillant sud-ouest du Bois d’Ailly, de manière à prendre le rentrant ennemi désigné par un A sur le croquis ci-dessous, avec l’aide d’éléments du 172e et de plusieurs compagnies du 56e. Un certain succès est obtenu, les troupes engagées gagnent du terrain sur une profondeur de 70 à 80 m. Les hommes creusent alors des tranchées et se mettent à l’abri derrière des boucliers pour « s’assurer un front intangible en vue d’une progression ultérieure ».

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On peut penser que la compagnie de Léon se trouvait dans les tranchées déjà occupées par le 171e en première ligne et fut chargée du lancement de grenades. L’attaque supendue à 12h20 pour permettre des reconnaissances reprend à 15h40, mais la progression est faible (une trentaine de mètres !) et on doit se rendre à l’évidence de l’impossibilité d’avancer davantage dans un terrain aussi difficile (fourrés inextricables).

Pour le 171e les pertes seront de 7 blessés et 1 disparu. Par contre la 12e compagnie du 56e subira des pertes sensibles.

Le 24 novembre le Journal de Marche mentionne que le Lieutenant-colonel de Certain prend le commandement du 171e et que le lieutenant-colonel Bénier passe au 172e (il n’était à la tête du 171e que depuis le 1er novembre !)

Le 26 novembre une nouvelle attaque est tentée impliquant cette fois le 2e bataillon (ne concernant donc pas Léon). Les Français, soigneusement disposés en colonnes par les stratèges qui les dirigent, quittent leurs tranchées, font 25m et sont accueillis par un feu ennemi violent, ils se terrent après avoir éprouvé de lourdes pertes et ne progressent plus ; à cela s’ajoute que la dernière compagnie qui devait être engagée « reçoit 3 obus malheureux » (c’est à dire venant par erreur de l’artillerie française !) qui met hors d’état de combattre « 83 hommes en deux minutes ».

Dans ces conditions l’attaque sera suspendue. Pertes : 2 officiers et 253 hommes de troupe tués.

Le chef du 2e bataillon s’adresse en ces termes à ses supérieurs :

« J’ai le devoir de vous signaler l’extrême fatigue des hommes. En réserve de secteur le 18, employés depuis cette date, ils n’ont pour ainsi dire pas eu une nuit de sommeil. Les deux journées du 26 et du 27 ont été notamment très dures pour eux.

J’ai rendu compte du fait au Colonel Valentin en spécifiant bien que je ne prétendais pas soustraire mon bataillon aux devoirs qui pourraient de nouveau lui incomber, mais simplement renseigner le Commandement sur le degré de résistance qu’on pourrait en attendre. »

Du 27 novembre au 14 décembre, c’est « sans changement » avec toujours les pertes quotidiennes : tués, blessés, ou néant

Le 14 décembre cependant quelques lignes font sobrement état d’un réel succès qui concerne le bataillon de Léon:

« le 1er bataillon du 171e occupant les tranchées de 1ère ligne a enlevé le poste ennemi en avant de la droite de la zone gardée par lui et a commencé l’organisation de l’élément de la tranchée enlevée. »

 

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Pas de répit pour le 171e

Les fantassins –auxquels appartenait Léon- sont partis à la guerre vêtus de pantalons rouge garance. Pourquoi une telle couleur si voyante ? Eh bien parce que l’armée française avait bien du mal à évoluer ! Certes des avertissements avaient été lancés avant la guerre, se référant à la guerre des Balkans ; par ailleurs toutes les grandes armées européennes étaient déjà dotées de tenues moins exubérantes, de manière à se fondre dans le paysage (vert-de-gris en Allemagne, kaki en Grande-Bretagne).

En 1911, le Ministre Messimy avait bien essayé de faire adopter la couleur vert réséda, mais cela souleva un tollé et des envolées lyriques du genre : « Supprimer le pantalon rouge ? Non ! Le pantalon rouge c’est la France ! » (Eugène Etienne, Ministre de la Guerre). Moyennant quoi les soldats français gardèrent leurs pantalons garance, traditionnels depuis… 1829 !

Et puis il fallait bien assurer un débouché aux industries des draps garance du sud de la France.

Les hécatombes de fantassins en août 1914, bien repérables sur fond de terre ou de chaume incita les autorités à prévoir un drap de couleur plus neutre et c’est le bleu horizon qui fut adopté. Un certain temps fut cependant nécessaire pour confectionner les uniformes. On verra plus tard à quel moment Léon recevra sa nouvelle tenue.

Sur la tête du fantassin un képi, rouge lui aussi, vite camouflé par un bandeau bleu, pour que les têtes ne servent pas de cibles ! Pas de casque : les premières calottes d’acier, lourdes et peu pratiques apparaitront assez vite; les premiers casques seront distribués en 1915.

Sur son dos un fourniment de 30 kilos : musette et bidon en sautoir, pour transporter vivres et vin. Cartouchière autour de la taille pour le fusil Lebel. Sur le sac une couverture roulée et une toile de tente, plus la lourde capote bleue, lorsqu’il fait trop chaud pour la porter. Sans oublier, la baïonnette, la gamelle et une petite pelle !

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Pas de répit pour le 171e

Les Allemands ont donc été arrêtés sur la Marne le 9 septembre. Les deux armées sont complétement épuisées par l’énorme effort qui vient d’être fourni et les Français ne profitent pas suffisamment de leur avantage : les Allemands arrivent à se rétablir sur l’Aisne et à s’y maintenir grâce à des tranchées creusées hâtivement. De l’Aisne à la Suisse le front s’est figé, long serpent de tranchées. Chacun des deux camps entreprend alors d’essayer de déborder l’autre.

Une folle course se déroule alors, à partir de la mi-septembre, de l’Aisne à la Somme, de la Somme à l’Artois, puis vers Lille. A Nieuport, il faudra stopper sans avoir pu tourner l’adversaire : ce sera « la course à la mer ».

Falkenhayn, nouveau chef d’état-major général allemand voit bien qu’il ne pourra pas déborder mais souhaite quand même atteindre les ports de la Manche et jette dans la bataille des troupes fraiches de jeunes étudiants fougueux, animés d’une foi patriotique intense. Le choc frontal se produira dans la plaine de l’Yser, entre Nieuport, Dixmude et Ypres.

Côté français, Foch, tant bien que mal, a réussi à organiser un « invraissemblable magma » de toutes armes et de toutes races. Les fusiliers marins bretons, les tirailleurs sénégalais, les marocains pour ne citer qu’eux, paieront un tribu particulièrement lourd dans cette bataille, mais résisteront.

Les Anglais dont l’armée était aussi composée de soldats de provenances disparates, furent admirables de ténacité (cf la bataille du Mont Kemmel où 2000 cavaliers anglais empêchèrent trois divisions ennemies de trouer nach Kalais !).

De leur côté, les Belges, animés par le Roi Albert, le « Roi-chevalier », repliés sur une bande de sable le long de la Mer du Nord se résigneront le 28 octobre à ouvrir les vannes des écluses à marée montante, inondant ainsi la rive gauche de l’Yser, stoppant net la progression des Allemands. Tant pis pour le Kaiser qui avait déjà prévu une visite dans Ypres conquise, pas plus qu’à Paris il n’y entrera en grande pompe !

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le front stabilisé de la Suisse à la Mer du Nord

De l’autre côté du front, en Lorraine, à un endroit qui intéresse notre récit, se déroulait la dernière grande bataille de la fin septembre : le Kronprinz et ses troupes bavaroises, fit une poussée en direction des Hauts de Meuse, avec l’idée sans doute –déjà- d’atteindre Verdun. Bloqué sur ses deux flancs, aux Eparges et dans la Forêt d’Apremont, il réussit à prendre St Mihiel, créant ainsi une hernie, ou saillant. Dès la fin de septembre, les Français tentèrent de reprendre ce terrain perdu ; ce furent les combats auxquels participèrent Léon et ses camarades du 171e (voir les articles « Au Bois d’Ailly »)

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Pas de répit pour le 171e

La tenue au feu de ses troupes vaut au Colonel Pallu d’être promu Commandant de la Brigade de Belfort.

Au moment de quitter son « cher 171e », il fait la déclaration suivante, recopiée à la date du 2 novembre dans le Journal de marche :

« Je salue respectueusement le drapeau du 171e que j’ai reçu des mains du Président de la République et que j’ai eu l’honneur d’accompagner le premier au feu (…) en même temps que le baiser que je mets sur ses couleurs, j’envoie une cordiale accolade à tous mes compagnons d’armes (…)

Brigade active de Belfort : en Avant, toujours !

Mon beau 171e tout mon cœur avec toi !

Mon salut aux absents qui sont tombés dans les combats pour la patrie. »

Voilà pour le lyrisme.

Pour la suite, pendant toute la première quinzaine de novembre, s’installe la triste routine de la tenue des tranchées .

Pour chaque jour deux lignes :

Sur la première la mention « sans changement »

Sur la deuxième, les pertes : chaque jour quelques tués ou blessés

(par exemple le 6 novembre, 1 tué, 3 blessés)

On relève cependant le 11 novembre, « des conversations surveillées avec l’ennemi », qui seront d’ailleurs interdites dès le lendemain.

Au Bois d’Ailly les tranchées des deux camps étaient si proches qu’il était possible aux Français de parler aux Allemands, qui en l’occurrence étaient des Bavarois, réputés plus fréquentables que les Prussiens. Les rapprochements qui auraient pu risquer de provoquer des fraternisations étaient bien sûr formellement interdits par la hiérarchie militaire.

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Pas de répit pour le 171e

 

medaille

A la fin du mois d’aôut 1914 l’Armée française est en très mauvaise posture. En Allemagne l’opinion est surchauffée et l’entrée à Paris (qui a déjà fait l’objet de frappe de médailles !) ne paraît plus être qu’une question de jours. Mais comme le remarque lucidement  von Falkenheyn, Ministre de la guerre du Reich : « ce n’est pas une bataille gagnée, c’est une retraite méthodique des Français ». Il faut donc avancer pour confirmer ces premiers succès et c’est ce que font les troupes de von Kluck à la vitesse soutenue de 30 à 40 km par jour.

Le Général Gallieni qui vient d’être nommé gouverneur militaire de la place de Paris demande à Joffre trois corps d’armée pour pouvoir défendre la capitale. Celui-ci fait la sourde oreille, préférant garder tous ses moyens pour sa grande controffensive qu’il prévoit… vers le 7 septembre, sur la Seine, laissant ainsi la ville hautement symbolique à la merci des Allemands. Il aimerait même qu’elle soit déclarée « ville ouverte »; le Gouvernement a d’ailleurs été prié d’évacuer à Bordeaux. Gallieni, soutenu par les élus parisiens de toutes tendances politiques, insiste et s’apprête à défendre Paris par tous les moyens : « J’ai reçu le mandat de défendre Paris contre l’envahisseur. Ce mandat, je le remplirai jusqu’au bout . » proclame-t-il sur les murs de la ville.

C’est alors que le 3 septembre au soir, des aviateurs et des cavaliers informent les autorités (le GQG et Gallieni) que la 1ere armée de von Kluck infléchit sa marche vers le sud-est et semble négliger Paris. Gallieni semble avoir le premier pris la mesure de cette grave erreur de l’adversaire et obtient de Joffre de pouvoir envoyer la 6e armée de Maunoury sur le flanc de von Kluck, au nord de Meaux. Joffre par ailleurs, et malgré l’avis de certains de ses conseillers, décide de ramener sa controffensive sur la Marne et de l’avancer du 7 au 6. Il ira également, le 5 septembre, taper littéralement du poing sur la table au QG du britannique French pour obtenir son aide dans la grande bataille qui se prépare : «L’honneur de l’Angleterre est en jeu, Monsieur le Maréchal ! ».

L’affrontement  – qui impliqua deux millions d’hommes – fut terrible sur tous les points d’un front de plus de 200 km de large: les généraux Castelnau à Nancy et Sarrail à Verdun défendirent leurs positions avec la dernière énergie. Quant à Foch, en Champagne il dut lui aussi à sa pugnacité, frôlant l’inconscience, de ne pas céder du terrain dans les marais de Saint Gond. Sur la Marne, les Allemands tiennent bon mais n’en peuvent plus. Von Kluck leur envoie des renforts et ce faisant crée un trou béant devant les Anglais qui se hâtent avec lenteur pour rejoindre le front (ils mettront trois jours pour parcourir 20km !). La 6e armée de Maunoury est à bout de ressources (malgré les renforts anecdotiques des fameux « taxis ! » que Gallieni avait eu l’idée de réquisitionner pour amener des troupes sur le front) et ne peut plus qu’essayer de tenir. Heureusement le Général Bülow doit céder devant les Anglais qui passent enfin la Marne et les Français reprennent Château-Thierry ; von Kluck doit lâcher prise. C’en est fait du rêve de victoire rapide, les Français et leurs alliés ont bel et bien arrêté la progression de l’armée allemande… et Paris est sauvée !

Les milieux catholiques ont les premiers parlé du « Miracle de la Marne » et ce terme s’est progressivement imposé, perdant son sens religieux, pour qualifier l’extraordinaire sursaut des Français. Car, comme l’a écrit von Kluck dans un ouvrage destiné à le disculper : « Que des hommes ayant reculé pendant dix jours, que des hommes à demi morts de fatigue puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est une possibilité dont il n’a jamais été question dans nos écoles de guerre. »

 

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Pas de répit pour le 171e

Le journal de marche et des opérations du 171e recopie le 25 octobre l’ordre n°121 (qui félicite les troupes de Belfort pour leur bonne conduite et leur ardeur au combat) et sur la même page l’ordre n° 122 qui annonce une attaque pour le 27 dans le secteur du Bois d’Ailly.

« l’ennemi qui est devant nous a diminué de nombre et de qualité, affirme le Général en préambule, ce serait honteux de nous laisser tromper par une façade, solide sans-doute, mais qui masque presque sûrement un ensemble affaibli. »

On va donc attaquer… par surprise.

Stratégie brillante sur le papier :

 

Le 27 octobre une attaque surprise sera exécutée sur les tranchées ennemies au sud-ouest du Bois d’Ailly : s’en emparer et aborder l’allée forestière pour « l’enfiler immédiatement par des feux, si possible de mitrailleuses ». Poursuivre ensuite la conquête des tranchées une à une et atteindre la lisière nord des bois.

(…)

L’attaque sera déclenchée aux premières lueurs du jour par 25 hommes « choisis résolus – bien commandés- connaissant bien le terrain ». Cette troupe s’élancera depuis la tranchée A(française) sur le saillant S (allemand), à la grenade et à la baïonnette, appuyée par des patrouilles mordantes et les flancs étant gardés.(…) Des hommes munis de sacs de terre seront prêts à établir des traverses dans la tranchée conquise.

Les éléments d’attaque seront munis de cisailles.

Les tranchées conquises seront immédiatement organisées tandis que les troupes de seconde ligne progresseront vers l’allée forestière.

L’artillerie ne sera pas appelée pour ménager l’effet de surprise mais elle se tiendra prête à battre le sommet du Bois d’Ailly.

Les soldats seront pourvus d’un repas froid copieux.

Résultats dans la réalité:

A 5h30, le détachement de reconnaissance, en trois fractions, se porte vers la tranchée à conquérir. Un de ses membres, un sous-lieutenant, est perdu en route (il sera retrouvé le 28, le képi troué, complétement hébété). Les autres, sous le commandement d’un adjudant vont de l’avant, trouvant un passage entre les abatis (branchages et fils de fer enchevêtrés) –des « trous de loup »- Il divise sa troupe en trois : les uns vers la droite, les autres vers la gauche, lui et quelques hommes au centre. Il commande   à voix basse « en Avant ! », (ce qui est la devise du 171e !!). Trois grenades sont lancées par dessus le parapet de la tranchée, deux seulement éclatent. Les hommes tirent sur la sentinelle allemande et sur des hommes couchés dans des niches. Les Allemands ripostent et tous les chefs français du détachement sont tués ou blessés.

5h50 : les colonnes d’assaut tentent d’entraîner leurs hommes mais c’est trop tard, le feu violent de l’adversaire les cloue sur place : la surprise a échoué.

6h20 : l’artillerie agit en vain et doit rectifier son tir après 10 mn (ils tiraient sur leurs camarades ?)

7h15 : nouvelle vaine tentative d’assaut, deux officiers tombent (1 tué, 1 blessé)

7h40 : le Colonel insiste : que l’on force l’obéissance (souligné dans le texte)

…mais les Français, dès qu’ils se lèvent sont aussitôt fauchés par les mitrailleuses allemandes qui sont à moins de 50m !

8h40 : nouvel ordre d’attaque, après préparation par l’artillerie, par petites fractions. Le mouvement s’exécute lentement avec beaucoup de difficultés.

Bas état moral de la troupe, qui a perdu beaucoup de ses chefs, est composée par ailleurs de nombreux réservistes nouvellement arrivés, ou de soldats qui ont déjà à 4 ou 5 reprises attaqué vainement ces mêmes ouvrages ennemis dont ils connaissent la qualité et l’organisation.

Devant ces faits, le Général commandant la Division ordonne de suspendre l’opération.

Résultat de la journée :

Une légère progression (50 m environ du côté des tranchées allemandes, 50m vers le nord) et la bande de terrain conquise a aussitôt été organisée en tranchées.

Pertes pour le 171e RI:

18 tués, 41 blessés, 25 disparus

« …presque tous dans le seul mouvement pour se dresser et franchir les tranchées »

Le Colonel Pallu qui dirige le 171e RI, signale en outre le manque d’outils du génie (pioches en particulier) et l’inutilité d’un nouvel engin le « bouclier roulant », inutilisable dans la partie boisée et garnie d’abatis où se trouvent les tranchées

 

Le quasi échec de l’opération du 27 octobre sera constaté par le Général commandant le 8e C.A., attribuant l’insuccès au malheureux coup de feu tiré trop tôt, « alors que la baïonnette était si bien indiquée »… mais dit-il « la tentative est toute à l’honneur des régiments de la Brigade de Belfort, notamment du 171e ». Les morts et les blessés seront décorés… Le Colonel, après avoir transmis ces remarques et ces félicitations à ses troupes conclut : « Préparons nous à mieux faire. Pour la Patrie. Toujours. Signé : Pallu »

Cette vaine offensive, qui sera suivie de beaucoup d’autres, illustre à merveille la culture de l’offensive à tout prix qui prévalait chez les officiers français au début de la guerre.

Pour Charles Galliet, cette date du 27 sera désormais funeste. Il témoigne: « Les Allemands avaient dissimulé dans leurs parapets des armes fixes dont le tir était ajusté sur chacun de nos créneaux; ils n’avaient plus besoin de viser, chaque fois qu’ils pressaient sur la gâchette la balle faisait mouche sur la tête de nos pauvres tireurs. »