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Balles, marmites, schrapnells, obus

Un fantassin au front, se trouve presque en permanence exposé à recevoir des projectiles potentiellement mortels, la plupart du temps envoyés par l’ennemi, mais aussi parfois malheureusement venant de son propre camp (par exemple des tirs trop courts de l’artillerie fançaise tombant sur la première ligne). Et au début de la guerre, les soldats français, contrairement aux soldats allemands n’avaient même pas de casque !

Plutôt que de discourir à ce sujet, je vous livre ci-dessous quelques moceaux choisis, du vécu !

« …les balles continuent à pleuvoir autour de moi, je risque d’être à nouveau atteint ; je fais donc tout mon possible pour me traîner dans un trou, j’ai bien du mal à m’y blottir.…

Quelle affreuse nuit !

Rien que la fusillade, car à chaque bruit que fait un blessé, la fusillade reprend, au beau milieu de la nuit, la mitrailleuse balaye le terrain, les balles me passent par dessus la tête, mais elles ne peuvent plus m’atteindre dans mon trou… »

Lettre du poilu Désiré Renault (22 août 1914)

« …je préférerais être bien loin d’ici que de vivre dans un vacarme pareil. C’est un véritable enfer. L’air est sillonné d’obus… »

Lettre du poilu Alphonse X à sa femme (5 mai 1915) qui sera un mois plus tard tué par un obus

« Les lourdes marmites, par douzaines achèvent de ravager les champs pelés. Elles arrivent en sifflant, toutes ensemble ; elles approchent, elle vont tomber sur nous. Et les corps se recroquevillent, les dos s’arrondissent, les têtes disparaissent sous les sacs, tous les muscles se contractent dans l’attente angoissée des explosions instantanément évoquées, du vol ronflant des énormes frelons d’acier. Mais je vois, tandis que le sifflement grandit encore vers nous, des panaches de fumée noire s’écheveler à la crête; presque aussitôt, le fracas des éclatements nous assourdit. Chaque fois qu’un obus tombe, c’est un éparpillement de gens qui courent en tout sens ; et lorsque la fumée s’est dissipée, on voit par terre, faisant taches sombres sur le jaune sale des chaumes, de vagues formes immobiles. »

Maurice Genevoix, Ceux de 14, p. 66

« …des coups de fusil crépitent à gauche, des balles chantent : elles doivent taper vers la section en marche. Les schrapnells se groupent au-dessus d’elle. La ligne onduleuse s’immobilise, tassée dans un vague pli de terrain, pareille à une longue chenille morte. »

Maurice Genevoix, Ceux de 14, p. 68

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« Soudain des sifflements stridents, qui se terminent en ricanements rageurs, nous précipitent face contre terre. Des éclats, des billes cinglent l’air, un gros culot vient en bourdonnant se planter à côté de mon genou.

(…)Les hommes à genoux, recroquevillés, le sac sur la tête, tendent le dos, se soudent les uns aux autres.
Nouveaux grincements, nouvelles explosions. Les billes pleuvent, ricochent sur les gamelles; un bidon percé pisse son vin; une fusée chantonne longtemps dans l’air, comme un méchant moustique… haletants, secoués de tremblements, mes voisins claquent des dents. Leurs visages bouleversés rappellent les grotesques gargouilles de Notre-Dame; dans cette posture de consternation, les bras croisés la tête basse, ils ont l’air de suppliciés qui offrent leur nuque au bourreau.

Le caporal Bidet qui a perdu son képi, me dit entre deux hoquets :

« si ça doit être tous les jours comme ça, j’aime mieux mourir tout de suite !… »

Caporal Galtier – Boissière, la Fleur au Fusil, p. 116-117

Le système nerveux humain n’étant pas adapté à de telles agressions répétées, il va sans dire que les blessures du psychisme n’ont pas manqué d’apparaitre nombreuses chez les combattants et il faudra beaucoup de temps avant que l’on commence à les reconnaître!

Je dédie cet article à mon fils, Damien Jalet, qui en ce moment même, dans l’opéra « Shell shock » à la Monnaie de Bruxelles, danse le rôle d’un soldat sous les obus… pendant la guerre de 14/18

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Balles, marmites, schrapnells, obus

On a vu dans l’article « En passant par la Belgique » que les Allemands avaient commencé dès le 5 août 1914 à exécuter leur plan prévu de longue date : se débarrasser rapidement de la France en passant par le nord pour se retourner, chose faite, vers la Russie.

Ces intentions n’étaient pas ignorées des décideurs français, des stratèges militaires en particulier qui multiplièrent dès le début du siècle les rapports et les alarmes. Puisque la guerre était finalement déclarée il aurait été logique de porter en masse l’armée française vers ses frontières du nord de manière à entrer rapidement en Belgique, dès que la violation de la neutralité de celle-ci aurait été patente. Moyennant quoi, les troupes furent concentrées à l’est, laissant les plaines du nord sans aucune protection, d’autant qu’une politique de démantèlement des places fortes de ces régions avait été menée systématiquement. Et l’on partit à la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine (cf article précédent « En Alsace »)…

L’invasion de la Belgique et les appels au secours de celle-ci à bout de résistance laissent de marbre le Général en chef ; il attend, le plus calmement du monde et il y a une bonne raison à cela : il a un plan ! Pour qu’il fonctionne, il lui faut juste gérer l’effroi des généraux, ses subordonnés, et des politiques maintenus à dessein dans l’ignorance de ce qu’il prépare. Au premier rang des inquiets, le Général Gallieni et son successeur à la tête de la 5e armée le Général Lanrezac. Ce dernier ne recevra qu’un silence méprisant en réponse à ses demandes angoissées de porter son armée vers l’ouest pour regarnir les frontières du nord.

Le Ministre de la Guerre, Messimy, qui se ronge les sangs devant l’inertie du Haut Commandement n’aura pas plus de succès. Alors qu’il s’alarmera une nouvelle fois le 19 août de l’importance des forces allemandes en train de passer à Bruxelles, l’adjoint de Joffre, le Général Berthelot, réputé tête pensante du Grand Quartier Général, lui répliquera : « Il est trop tard pour changer notre plan. S’ils passent en masse sur la rive gauche de la Meuse, tant mieux ! Plus ils mettront de monde à leur aile droite plus il dégarniront leur centre ; plus il nous sera facile de les jeter à la mer ! »

Ce faisant il vient de dévoiler « le plan » !

En effet, « Joffre a bien un plan (…) Celui-ci, empreint d’une philosophie napoléonienne qui prescrit de foncer dans le centre de l’ennemi, est vraisemblablement le suivant : laisser les Allemands s’avancer en Belgique, ne surtout pas aller à leur rencontre et ignorer les appels désespérés de l’armée belge; lancer quelques offensives en Alsace et en Lorraine pour fixer un maximum de soldats allemands et faire en sorte que l’aile marchante de l’ennemi chargée de déferler sur la France soit de cette façon considérablement amoindrie; enfin, quand celle-ci sera très engagée en Belgique, attaquer violemment dans les Ardennes belges pour bousculer le flanc central de l’ennemi, couper son armée en deux avant de la détruire. C’est finalement en Belgique que se déroulera la grande bataille qui verra les Allemands désemparés refluer en catastrophe sur leurs bases de départ, poursuivis par les Français. Sur le papier, la victoire est assurée. Sur le papier seulement, car rien ne va se passer comme prévu.

Pour qu’un tel projet soit couronné de succès, il est nécessaire d’évaluer correctement les forces de l’adversaire. Or, c’est là que le bât blesse. Si les armées d’active des deux principaux belligérants sont de taille similaire, en revanche l’armée allemande fait aussitôt entrer en ligne ses réserves quand la France, du fait d’un préjugé tenace sur leur moindre valeur, les tient majoritairement à l’écart des premiers chocs (Cf plus haut : article « En Alsace »). Joffre reconnaît avoir été averti du plan de mobilisation allemand, qui, dans sa version rénovée du 1er avril 1914, précise que les corps armés de réserve marcheront en même temps que les troupes d’active, mais il n’y a pas cru. Avec honnêteté il confessera plus tard cette lourde faute. (…)

C’est sur cette dramatique erreur d’appréciation – une sous-estimation de quelque 400 000 soldats allemands engagés en Belgique – que la guerre commence. »

Jean-Yves Le Naour : 1914, la Grande Illusion, p. 223-224

Le 19 août les choses sérieuses commencent : l’armée française fonce sur les allemands en Lorraine et dans les Ardennes Belges employant la méthode en vogue chez les stratèges français : une attaque à outrance, en grande masse, des fantassins baïonnette au canon . Mais elle tombe, sur un terrain particulièrement malaisé, très accidenté et boisé, sur des Allemands plus nombreux que prévu et bien préparés à la défensive, ayant disposé dans les bois de nombreux canons qui feront un jeu de massacre sur les soldats français.

Pendant ce temps le Général Lanrezac, ayant fini par en obtenir l’autorisation avec quatre jours de retard, s’est installé devant Charleroi, en liaison avec la forteresse de Namur où les Belges tiennent bon. Mais sa situation devient vite impossible car la IIIe armée allemande de Hausen est en train de passer par Dinant pour le contourner. Au nord-ouest l’armée de Kluck (320 000 soldats) déferle depuis Bruxelles sur l’armée britannique (bien moins nombreuse) à Mons. Les Anglais, qui ont retenu la leçon de la guerre des Boers ont préparé leur défensive et encaissent solidement le choc, mais à cause du reflux français se retrouveront bientôt seuls face à l’ennemi.

Tout cela ne facilite pas les relations entre les alliés. La réunion du 25 août au QG du maréchal French à St Quentin est particulièrement tendue et n’aboutit à rien, les Anglais auxquels il a été beaucoup demandé ne faisant désormais plus aucune confiance aux Français en général et à Joffre en particulier.

« Mon Général quel est votre plan ? » demande French abruptement.

« comment , réplique le Général Joffre tout décontenancé , mon plan ? »

Il n’en a en effet plus aucun !

Sauf de constituer à la hâte une 6e armée qui se rassemblera autour d’Amiens.

Mais c’est trop tard ; malgré une offensive réussie de Lanrezac et de sa 5e armée, le 29 août, en direction de St Quentin (« la bataille de Guise ») dont profiteront les Anglais pour filer (à l’anglaise), rien ne parait plus pouvoir arrêter les Allemands dans leur marche vers Paris : le désastre de 1870 semble se reproduire.

A moins d’un miracle ?

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Balles, marmites, schrapnells, obus

 

Nous avons donc laissé Léon et ses camarades en cantonnement à Rougemont-le-Château, à côté de Belfort.

Le 28 septembre, changement de décor : le 171e Régiment d’Infanterie est transporté à Lérouville dans la Meuse « en trois trains », arrivés sur place le 29 entre 4h et 11h du matin.

C’est la gare la plus proche du « saillant de St Mihiel », du nom de la localité meusienne venant quelques jours auparavant d’être prise par les Allemands, qui ont également pris les hauts de Meuse, collines surplombant le fleuve, position considérée comme stratégique et que les responsables français estiment indispensable de reprendre ; elle protège en effet Verdun, déjà très convoitée par les Allemands.

Deux heures de repos qui permettent d’avaler une soupe et la troupe commence à se diriger vers les crêtes de Meuse; là se trouve le Bois d’Ailly, dont le nom poétique cache des ruisseaux de sang.

« La guerre semblait venir à notre rencontre; des paysans fuyaient la bataille, chassant devant eux leurs troupeaux, des chars passaient chargés de ce que leurs conducteurs avaient pu sauver de leurs maisons, et dans tout cela, suivant le même chemin, des ambulances d’où s’échappaient des plaintes de blessés et des odeurs de pharmacie… » note Charles Galliet

Le 3e bataillon est envoyé dès la descente du train à l’attaque, pour « renforcer une ligne de feu établie au sud-est de ce bois ». Il progresse sur le chemin qui borde le bois à l’est, mais « est rejeté dans le ravin ».

Une bande de papier collée sur le journal de marche cache sans doute les pertes de la journée du 29 septembre qui seront récapitulées ultérieurement .

L’offensive française qui vise à protéger Commercy va durer jusqu’au 1er octobre, violente, causant beaucoup de pertes:

Charles Galliet: « c’était autour de nous le massacre de tout, de la nature et des hommes; on nous tuait à genoux, on nous tuait allongés, les branches déchiquetées tombaient sur les corps; dans cet enfer nous tirions sans arrêt, jusqu’à l’épuisement complet des munitions... »

le journal de marche: « on tente vainement de sortir des tranchées sous le feu extrêmement violent de l’ennemi qui paraît s’être renforcé».

Le 2 octobre, le JMO récapitule :

Tués : 1 officier, 13 sous-officiers, 79 soldats

Blessés : 18 officiers, 39 sous-officiers, 32 soldats

Disparus (ce qui veut dire la plupart du temps tués) : 3 officiers, 7 sous-officiers, 330 soldats

La bataille se poursuit les 3 et 4 octobre, avec une vingtaine de pertes par jour.

Puis tout le Régiment part cantonner (c’est à dire se reposer à l’arrière, dans des conditions que l’on évoquera plus tard) jusqu’au 7 et on inscrit alors : pertes néant

Le 12 octobre, les 11e et 12e compagnies qui étaient restées en réserve remontent en 1ère ligne. Elles succèdent à la 1ère compagnie (celle de Léon) qui vient de reprendre les tranchées « perdues la veille par le 134e  (un autre Régiment d’Infanterie), oh les vilains ! »

Les pertes émaillent à nouveau le JMO.

Le 21 octobre, nouvelle arrivée de renforts (les trous sont rebouchés dans les effectifs des compagnies!)

Puis le va-et-vient continue entre les tranchées de 1ère ligne et la réserve en arrière jusqu’au 24 octobre.

Le 25 octobre, le JMO recopie l’ordre général n° 121, émanant du QG de Commercy :

« Depuis le commencement du mois d’octobre les troupes du 8e C.A. et de la Brigade de Belfort (souligné dans le texte) ont livré, dans la forêt d’Apremont et dans la vallée de la Meuse une série de combats meurtriers sans cesser un seul instant de témoigner de leur bravoure, de leur endurance et aussi de la plus stricte discipline.

Toutes les unités ont occupé au cours des opérations des postes dangereux ou pénibles devant le village d’Apremont et le Bois Jurat, à la redoute du bois Brûlé, dans les forêts d’Apremont et de Marbotte, devant le Bois d’Aillly, dans les presqu’îles de la Meuse et les éloges du présent ordre s’adressent à toutes… »

Signé par le Général de Mondésir Cdt la 8e C.A.

On verra que l’ordre général n° 122, recopié dans le journal de marche le lendemain 26 octobre sera d’une toute autre nature.

 

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J’ai évoqué précédemment une toute petite partie du front de la guerre : l’Alsace où servait Léon.

Il me semble qu’il faudrait quand même élargir l’angle et voir comment la guerre a commencé ailleurs, sur le front occidental du moins.

Le mois de juillet 14, après l’attentat du 28 juin à Sarajevo, avait vu une activité fébrile des chancelleries, pas en avant vers la guerre, pas en arrière pour la conjurer.

L’Allemagne, cependant, pays où sévissaient toutes sortes de faucons, voyait là le moment opportun, pour une guerre qui lui permettrait de desserrer l’étau dans lequel elle se pensait enfermée. Mais il fallait éviter de se battre durablement sur deux fronts et en conséquence se débarrasser rapidement de la France, ce qui dans l’esprit des décideurs allemands qui se souvenaient de 1870 ne faisait pas de doute.

Fut donc sorti des tiroirs, tout prêt à l’emploi, le plan Schlieffen (du nom de son auteur, un général allemand mort en 1913) : le meilleur moyen d’envahir la France est de passer par les plaines de la Belgique. Pour cela il faut violer la neutralité du royaume. Qu’à cela ne tienne pensent les responsables allemands, le roi Albert, s’il comprend bien son intérêt ne résistera pas. Un ultimatum est donc adressé le 29 juillet à la Belgique, l’enjoignant de ne pas s’opposer au passage des troupes allemandes, sous prétexte d’attaques françaises… qui n’ont pas encore eu lieu. Le roi des Belges, et le gouvernement, pour l’honneur, refusent ce chantage et ordonnent la résistance ; l’Allemagne qui cherchait à terroriser Bruxelles pour s’assurer son consentement a, au contraire, révolté l’orgueil national et provoqué d’impressionnantes manifestations anti-allemandes.

Les Allemands passent la frontière le 4 août et se retrouvent le 5 devant la ceinture de forts de Liège. Les douze citadelles résistant, l’Etat-major allemand plutôt que d’exposer inutilement ses fantassins amène des canons de gros calibres, produits de l’industrie de la Rhur et dont la taille était si gigantesque que les témoins n’en croyaient pas leur yeux. En quatre jours tous les forts de Liège sont pulvérisés avec leurs défenseurs.

Les appels au secours de la Belgique à la France s’étant heurtés à la sourde oreille du Généralissime Joffre (ce qu’il savait particulièrement bien faire !), ce malgré les objurgations des généraux et du gouvernement français, le Général Selliers, commandant les troupes belges, décida de se replier sur le fort d’Anvers, ce qu’il fera le 18 août après avoir résisté au maximum.

Le retard infligé à leur plan par les troupes belges aux Allemands mit ceux-ci de très mauvaise humeur et ils la firent payer très cher à la population civile belge. Sous prétexte de la présence imaginaire de francs-tireurs, des exactions très graves furent commises contre les civils. Un des plus notables étant l’assassinat à Leuven (Louvain) de 248 civils et la destruction d’une grande partie de la ville y compris sa bibliothèque (siège d’une université catholique, elle a été particulièrement visée pour cette raison, un reste sans doute du Kulturkampf protestant qui avait secoué l’Allemagne récemment unifiée).

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Pire encore à Dinant (ville qui me tient à cœur puisque je m‘y suis mariée), 674 civils des deux sexes et de tous les âges ont péri (10% de la population) et la ville a été à peu près réduite en cendres ! Pour la petite histoire, les autorités allemandes n’ont présenté qu’en 2001 leurs excuses officielles à la ville, qui depuis lors seulement place le drapeau allemand sur son pont au milieu des autres drapeaux européens.

Dinant, en août 1914

Dinant, en août 1914

Le courage de la Belgique a provoqué en France une vague de reconnaissance qui a fait fleurir dans de nombreuses villes des boulevards des Belges ou des avenues Albert Ier.

La Belgique, en cette fin d’août 1914 n’est pas complètement hors jeu mais n’est plus en mesure d’arrêter la progression de l’armée allemande en direction de la France. La suite de l’histoire dans un prochain article…

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Un régiment d’Infanterie sur le pied de guerre comprend trois bataillons de 1000 hommes chacun et se décompose de la façon suivante:

–       un Etat-major

–       le 1er bataillon : 1ere, 2e, 3e et 4e compagnies, d’environ 250 hommes chacune

–       le 2e bataillon : 5e,6e,7e, et 8e compagnies

–       le 3e bataillon : 9e,10e, 11eet 12e compagnies

–       une compagnie hors rang et trois sections de mitrailleuses complètent l’effectif, qui atteint théoriquement 3200 hommes.

Une compagnie normalement commandée par un capitaine, est divisée en quatre sections. …

Le chef de section (généralement un sous-lieutenant) vit en permanence en campagne avec ses hommes, une cinquantaine de soldats.

La section se divise en deux demi-sections, commandées chacune par un sergent, et elles-mêmes constituées de deux escouades dont les chefs sont des caporaux.

Le Sergent Léon MÜHR faisait partie de la 1e  compagnie du 1e bataillon du 171E Régiment d’Infanterie.

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Dans le journal de marche, le 9 septembre, on peut lire à la page 20 :

« Le sous-lieutenant LE BRIZEC, dans sa tenue de St Cyrien, à la tête de sa section, a donné l’assaut, abattu deux allemands avec son sabre, tué un troisième avec son révolver. Il est tombé héroïquement. »

Ce comportement héroïque, plein de panache, a été, surtout au début de la guerre celui des jeunes St Cyriens qui nommés sous-lieutenants à titre provisoire et en un clin d’œil chefs de sections, ont eu à cœur de montrer l’exemple à leurs troupes par un courage infaillible, comme on le leur avait appris à l’école. Sur la promotion 99 , sortie en 1914, « La Grande Revanche », quatre cent six sur sept cent soixante cinq moururent pendant la guerre (plus de la moitié !)

Le sous-lieutenant Charles De Gaulle, lui-même blessé sur le pont de la Meuse à Dinant en Belgique, remarque quant à lui dans ses notes :

« calme affecté des officiers qui se font tuer debout ; baïonnettes plantées aux fusils, par quelques sections obstinées; clairons qui sonnent la charge ; dons suprêmes d’isolés héroïques… rien n’y fait. En un clin d’œil, il apparaît que toute la vertu du monde ne prévaut pas contre le feu. »

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Le 2 août , Léon se trouve donc au fort de Belfort, à la porte de l’Alsace et justement la stratégie du Généralissime Joffre (sa seule stratégie d’ailleurs, on le verra plus tard) prévoit pour des raisons politiques et sentimentales d’entreprendre la reconquête de la province perdue…

La frontière est franchie dès le 7 août, avant même que la concentration des troupes ne soit achevée et le Général Curé entre triomphalement à Mulhouse le 9 août . « Le mordant de nos troupes a été prodigieux » se félicite Joffre. Hélas le succès fut de courte durée et c’est dès le lendemain le repli sur Belfort « à toutes jambes ». Les Allemands qui avaient bien entendu anticipé depuis longtemps ce besoin de reconquête des Français, avaient bien pourvu la région en ouvrages défensifs et s’étaient vite ressaisis après cette première attaque ! Vu l’importance symbolique de l’enjeu, l’Etat-major met le paquet avec une seconde offensive plus importante qui permet le 19 août de réoccuper Mulhouse qui sera cependant aussitôt reperdue, ce qui vaudra sa disgrâce au Général Bonneau.

Mais revenons à Léon, (qui je le rappelle était par son père d’origine alsacienne) et au 171e régiment d’infanterie. Dès le 6 août le Régiment est chargé de missions de reconnaissance, puis se porte en Alsace. Il tourne à l’arrière des troupes chargées de l’offensive sur un territoire qui va de Belfort à Mulhouse. Le journal de marche cite ces mouvements entre les localités de Rastatt, Roppe village, Dammarie, Montreux-le-vieux, Bethonvilliers, Soppes-le-bas, Félon, Montreux-le-jeune, la Chapelle-sous-Rougemont. (une surface à peu près carrée de 40km environ de côté). Ce mouvement limité s’explique par le fait que ce corps avait pour tâche principale de défendre Belfort, ce qui impliquait qu’il ne s’en éloigne pas trop ! Par ailleurs il était composé essentiellement de réservistes, dont l’Etat-major se méfiait beaucoup au début de la guerre (contrairement aux responsables allemands qui misèrent sur leurs réservistes dès le début des hostilités). Donc on avait tendance à les considérer comme des « seconds couteaux ». Cependant cette anecdote relatée dans ses mémoires par Charles Galliet,  sergent lui aussi au 171e RI, est caractéristique des sentiments que pouvait éprouver la troupe pendant cette « drôle de guerre »:

« L’Alsace!! nous l’avions aimée tout au long des années de notre enfance depuis l’école où nos instituteurs du bout de leur baguette montraient sur les cartes murales la tache sombre des départements perdus, nous l’avions aimée tout au long de nos années de  jeunesse lorsque dans nos familles on chantait pendant les veillées les couplets nostalgiques de la vieille province.

Nous évoquions ces souvenirs en arrivant dans la forêt quand nous vîmes dans le fossé du chemin deux tertres, deux tertres et deux croix, le premier c’était celui d’un dragon français, le deuxième celui d’un uhlan.

La guerre c’était aussi cela, et pas seulement des drapeaux déployés sur la terre conquise; et le silence dans la colonne se fit soudain et sans commandement. »

Alsace

Peu d’incidents majeurs donc pendant cette période, sauf le 12 août où une cannonade sur Montreux-le-vieux blesse mortellement un capitaine.

Le 28 août le Régiment est à La Chapelle-sous-Rougemont pour exercer une mission de « Résistance et surveillance »

Le 1er septembre une patrouille cycliste essuie vers Gervenheim les coups de fusils d’une patrouille cycliste allemande.

Le 4 septembre à Félon, la troupe est occupée à réaliser des ouvrages de fortifications.

Les jours gratifiés d’un « rien à signaler » émaillent le journal de marche, en belles cursives.

Mais les choses sérieuses vont commencer…

Le 9 septembre, le Général dirigeant les opérations d’Alsace demande l’aide des « troupes de Belfort » qui se portent à Thann ; celles-ci essuient de violents tirs d’artillerie et un orage ayant avancé la nuit, retournent à Félon, ce qui, précise l’officier qui rédige le rapport, « n’est pas un repli mais la suite logique de l’opération ».

30 blessés sont à déplorer dans ce premier combat. Mais la troupe a été jugée par ses supérieurs « pleine d’allant et d’énergie au feu », (ouf, ils sont rassurés !)

Il y eut même des actes d’héroïsme: voir l’article suivant, relatant la mort héroïque du Sous-lieutenant Le Brizec.

Le 10 septembre, encore plus sérieux, puisque le combat du Pont d’Aspach auquel participe la 1ère compagnie, celle de Léon, « rejette énergiquement l’ennemi vers le nord, » ; 14 prisonniers sont faits chez les allemands ; on déplore 11 tués, 71 blessés et 41 disparus.

« le résultat de ce petit engagement a été de fortifier l’énergie et l’audace de la troupe; les pertes pénibles subies par le Régiment engendrent des élans au lieu de les diminuer », se félicite le Colonel Pallu.

Ce combat du Pont d’Aspach passe pour une des rares victoires françaises dans cette région, ce qui a valu l’édition de cartes postales, comme celle-ci, trouvée aux puces de Vanves.

Pont d-Aspach

Le 14 on s’occupe des blessés et de recueillir des renseignements sur les officiers disparus.

Les jours se suivent ensuite sans beaucoup d’incidents, les «rien à signaler », fleurissent à nouveau sur le journal de marche.

Le 23 septembre, cantonnement à Rougemont-le-Château (territoire de Belfort) d’où Léon enverra une carte postale à ses tantes. Il y fait allusion à son cousin Paul PEQUIGNOT, sous-officier d’active, qui sert dans la même région.

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Le 27 septembre, « Rien à signaler »… mais une surprise attendra les soldats le lendemain. La période alsacienne qui a vu leur baptême du feu n’était que de la petite bière (si je puis dire) par rapport à ce qui va suivre !

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Léon a donc rejoint, dès le 2 août, à Belfort  le 171e Régiment d’Infanterie, auquel il appartenait depuis sa création en 1913 et qui regroupait des recrues de l’Est de la France et en particulier beaucoup de Franc-Comtois, réputés sérieux et particulièrement braves.

La région de Franche-Comté est en France assez mal connue, pas toujours située à sa place géographique, au sud de l’Alsace dont elle est séparée par la trouée de Belfort, porte traditionnelle des invasions. Adossée à la frontière suisse, occupée en grande partie par les montagnes du Jura et ses contreforts, ses splendides paysages sont , d’un point de vue touristique, desservis par un climat plutôt rude, assez pluvieux en été et très froid en hiver.

Ma fille habite « dans l’Est », me disait récemment une dame (celle-ci avait en effet rejoint son mari à Besançon …)

On sait que les difficultés forment le caractère, c’est pourquoi celui des Franc-Comtois est généralement bien trempé :

« Hommes de l’Est, sérieux, voire graves, les Francs-Comtois sont volontiers repliés sur eux-mêmes ; peu communicatifs, ils n’accordent pas de prime abord leur confiance à un inconnu. La difficulté d’existence sous un climat et sur un sol ingrat en a fait, au cours des siècles, une population énergique, courageuse, aussi capable d’efforts violents que d’application tenace à une besogne délicate… » pouvait-on lire en avril dernier dans le Nouvel Observateur à propos des fusions de régions !

La devise de la Franche-Comté est d’ailleurs :

« Comtois rends toi !

Nenni ma foi »

…prononcée par les assiégés de Dôle interpellés par le grand Condé, qui demandant par ailleurs à rencontrer leur chef s’était entendu répondre : « nous sommes tous chefs ! »

On peut voir dans ce trait un certain goût pour l’égalité ; la solidarité et la coopération entre les habitants se laissant par ailleurs illustrer par les fruitières, institutions très anciennes et qui perdurent aujourd’hui, de la mise en commun du lait de chaque village en vue de la fabrication des roues de fromage de Comté, dont la qualité universellement reconnue provient certainement, entre autre, du sérieux avec lequel il est fabriqué.

La Franche-Comté, arrachée à l’Espagne, rattachée, de force à la couronne de France en 1678 seulement, a gardé sa personnalité régionale; comme le disait malicieusement à ses élèves l’Abbé Flory, aumônier des Lycées de Besançon : « vous vous trouvez entre l’Alsace à forte personnalité et la Bourgogne qui a oublié depuis longtemps qu’elle a un jour été libre. »

Je termine ce petit article sur la Franche-Comté par cette citation de Voltaire dans Le siècle de Louis XIV (1751) :

« Cette province, assez pauvre en argent mais très fertile, bien peuplée, étendue en long de quarante lieues et large de vingt, avait le nom de Franche et l’était en effet. Les rois d’Espagne en étaient plutôt les protecteurs que les maîtres. Quoique ce pays fût du gouvernement de la Flandre, il n’en dépendait que peu. Toute l’administration était partagée et disputée entre le parlement et le gouverneur de la Franche-Comté. Le peuple jouissait de grands privilèges, toujours respectés par la Cour de Madrid qui ménageait une province jalouse de ses droits, et voisine de la France. Besançon même se gouvernait comme une ville impériale. »

« Jamais peuple ne vécut sous une administration plus douce, et ne fut si attaché à ses souverains. Son amour pour la maison d’Autriche s’est conservé pendant deux générations ; mais cet amour était, au fond, celui de la liberté. »

 

 

 

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carte p 713 v

Ce jour-là, Léon, qui termine manifestement son service militaire, à la caserne de Belfort, écrit à ses parents qu’il y est retenu par son service.

La carte choisie n’est pas sans intérêt : elle représente une scène du siège de Belfort en 1871, on y voit une horde de Uhlans coiffés de casques à pointe. Pour mémoire la place de Belfort, au sud de l’Alsace, commandée par le Colonel Denfert-Rochereau, avait résisté 103 jours à l’envahisseur prussien; ce fut dans cette triste guerre de 1870 , une des très rares sources de fierté des Français écrasés en peu de temps par l’ennemi !

A l’époque le service militaire était de deux ans et on peut lire que Léon est heureux de le voir se terminer bientôt !

Il fait allusion (à deux reprises, séparées par de banales considérations sur la pluie et le beau temps !) à la « loi des trois ans » sur la durée du service militaire: il l’a  « échappée belle » (le pauvre !)

La loi rétablissant à trois ans la durée du service militaire venait en effet d’être votée le 19 juillet, après d’âpres combats entre la gauche et la droite. Cette durée n’était plus que de deux ans depuis 1905, mais devant la course aux armements et le renforcement des effectifs miltaires en Autriche et en Allemagne, le gouvernement français avait suivi les responsables de l’Armée qui demandaient une augmentation de ses moyens.

 

Le vote de cette loi ne manqua pas de susciter en retour l’inquiétude de Berlin, confirmant ses jugements erronés sur la volonté belliciste de Paris.

 

(Cf article « Comment en est-on arrivé là ?)

 

 

 

Léon MÜHR a effectivement terminé son service militaire le 8 novembre 1913 , versé dans la réserve, se retirant à Guillon. Juste avant de partir, le 13 octobre 1913, il avait été promu Sergent .

siege Belfort

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Balles, marmites, schrapnells, obus

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la catastrophe est apparue aux contemporains comme une incroyable surprise. La guerre, pourtant, on en parlait depuis des années, on l’évoquait on la redoutait, on dissertait sur elle, mais comme d’une chose abstraite, lointaine. A dire vrai, l’année 1913 avait été si alarmante et si riche en tensions diplomatiques que 1914 avait tout pour rassurer. « Le printemps et l’été 1914 furent marqués en Europe par une tranquillité exceptionnelle », confirme Winston Churchill dans ses Mémoires. Le 12 juin 1914 encore, l’ambassadeur français à Berlin, Jules Cambon, confiait au ministre des Affraires étrangères être « loin de penser qu’en ce moment il y ait dans l’atmosphère quelque chose qui soit une menace pour nous, bien au contraire ». On pouvait donc dormir sur ses deux oreilles après trois années relativement tendues et profiter enfin d’un bel été sans nuages. Mais on se trompait.

Reste une question que l’historien Jules Isaac ne cesse de se poser pour comprendre les origines somme toutes mystérieuses du conflit : « Comment expliquer que la guerre, tant de fois prévue, prédite depuis 1905, quand elle éclata dans l’été de 1914, parut tomber sur le monde comme une avalanche ? » Longtemps pour répondre à cette interrogation, les historiens ont élaboré de vastes constructions politiques, diplomatiques ou économiques démontrant le caractère inexorable et mécanique de l’affrontement, sans toutefois convaincre absolument , puisqu’aucun fait mis en avant ne suffisait à avoir rendu la guerre inévitable. La compétition coloniale ? Mais celle-ci avait d’abord opposé la France à la Grande-Bretagne ! La confrontation des ambitions économiques à l’âge du capitalisme impérial ? C’est oublier que les milieux libéraux prônaient la paix comme plus profitable aux affaires et aux échanges. L’Alsace-Lorraine ? Une vieille lubie qui ne préoccupait plus grand monde, en vérité. L’engrenage fatal des alliances diplomatiques ? On avait pourtant eu le courage d’arrêter cette mécanique lors des crises précédentes, et cela ne disait pas pourquoi on n’avait pas voulu la stopper en 1914. Et tous les historiens d’énumérer avec plus ou moins de conviction ces éléments sans pouvoir dire vraiment ce qui a été déterminant. Avouons-le : si les origines du conflit sont restées insaisissables en dépit des milliers d’ouvrages consacrés au sujet, c’est peut-être parce que les facteurs objectifs sont insuffisants pour comprendre comment la moitié de l’Europe a décidé de prendre l’autre à la gorge. Après tant de grandes synthèses indécises ou erronées, il est temps de mobiliser les ressources de l’histoire culturelle pour envisager de nouvelles pistes. Un fait est certain : l’Europe de 1914 avait peur et c’est certainement de cette peur qu’est née la guerre.

……

Parce que la réalité est ce qu’on croit et non ce qui est, on aurait tort de considérer la peur comme une simple conséquence des tensions européennes alors qu ‘elle en est aussi le moteur, qu’elle agit sur ces mêmes tensions en les exaspérant, en déformant le réel et en faussant les perceptions. L’Allemagne est ainsi persuadée que la France veut la guerre tandis que cette dernière jurerait du contraire, et toutes deux sont de bonne foi. Fantasmant sur sa décadence, terrorisée par une menace slave qui n’existe pas en tant que telle, enrageant contre le revanchisme français qui n’existe plus, l’Allemagne ne voit que la guerre pour se sortir de l’encerclement dont elle se pense victime. C’est pour elle une question de vie ou de mort, du moins le croit-elle. Alors que sa cohésion nationale se disloque, l’Autriche-Hongrie se raccroche à la guerre comme à un formidable moyen de surmonter ses problèmes intérieurs que l’on fait endosser à l’exaspérante Serbie. Pour elle aussi c’est une question de vie ou de mort. Seule la Serbie, justement étonnante de confiance en elle ne craint rien ni personne. Adossée à la Russie qui attend son heure, elle est prête à incendier la terre entière pour faire chauffer sa petite popote sur son petit feu. Et comme la peur est communicative, elle alimente la course aux armements qui finit par se nourrir d’elle-même et au bout du compte, par dévorer ses enfants. La peur crée enfin un climat anxiogène où plus personne n’a confiance dans la parole ni dans la bonne volonté de l’autre, si bien que les chances de sauver la paix s’amenuisent et qu’il est fort probable qu’à la prochaine crise personne n’en aura le courage ni la force. Comme chacun tire de plus en plus fort sur la corde où s’est formé le nœud de la guerre, il arrivera un jour où celui-ci sera si serré qu’il ne sera plus possible de le démêler et qu’il ne restera plus qu’à le trancher. Puisque l’idée fataliste de la guerre inévitable avait peu ou prou conquis les esprits, on pouvait se libérer de l’angoisse en tranchant le noeud gordien…

Tiré du livre de Jean-Yves Le Naour : 1914, la grande illusion (Perrin)