Histoire de Léon

Mornes journées en mars

Le journal de marche recopie l’ordre du Colonel qui prend acte de l’échec partiel de l’offensive mais: « félicite tous les officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 171e qui dans la journée du 22 mars et dans les journées pénibles du 23,24,25 et 26 mars ont su maintenir la vieille réputation du Régiment. »

Dans la nuit du 23 au 24, deux sections de la 1ère compagnie (celle de Léon) se sont portées en avant à environ 120 ou 150m de la tranchée et ont construit une nouvelle tranchée permettant de tenir debout. Ces nouvelles tranchées « ont pour but de flanquer plus efficacement la gauche des tranchées à l’est de la route de Malgrejean-Bréménil ». Le journal de marche fait état d’autres consolidations de positions, mais chacune de ces journées du 23 au 26 verra encore son lot de tués et blessés. Le 26, un rayon de soleil avec le dégagement de trois soldats de la 11e compagnie, restés quatre jours et quatre nuits dans les barbelés ! « Ils méritent la médaille militaire« , écrit généreusement le Colonel Suberbie, d’autant que l’un deux après avoir crié « vive la France » a affirmé qu’il y retournerait dès qu’il serait guéri de ses blessures.

Témoignage de Paul Madeux :« Les jours suivants, mon bataillon dut organiser la nouvelle position, c’est à dire poser des réseaux, relever les morts, creuser des abris… C’est là aussi que j’ai vu des boches prendre le guet dans les sapins ; que j’ai vu les premières distributions de « gnôle » et de « pinard « 

A partir du 27 mars le Régiment quitte le secteur et se dirige, par étapes pénibles et redondantes: le 28 à Bertrichamps, le 29 à Neuves-Maisons, le 30 à Bertrichamps de nouveau ( !), le 31 à Moyen, entre ces deux localités une très longue et pénible étape (« La fatigue nous fit dormir n’importe où, même sur des planchers sans paille », toujours Paul Madeux) jusqu’à Blainville-sur-l’eau,  au bord de la Meurthe.

Un peu de repos va-t-il leur être accordé ?

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Mornes journées en mars

Au soir du 22 mars, il ressort que l’attaque a échoué : une maigre avancée des lignes s’est soldée par de nombreux morts et blessés.

Paul Madeux, du 2e bataillon placé en réserve et n’ayant donc pas participé à l’attaque (pas plus que Charles Galliet désigné pour rester garder le cantonnement) écrit dans son carnet :

« le soir même, quand , après avoir rampé, nous arrivions vers nos camarades pour les relever, nous constations que beaucoup d’entre eux étaient étendus à jamais sur le gazon ou accrochés aux réseaux.

Les lignes avaient simplement été avancées de quelques centaines de mètres.”

Les survivants, soulagés bien sur que, cette fois encore, la balle de la roulette russe n’ait pas été pour eux, devront affronter la perte de leurs camarades, avec lesquels ils avaient déjà tant partagé pendant ces longs mois d’épreuves toutes plus horribles les unes que les autres. Les blessés seront évacués vers « l’ambulance », hôpital de campagne chargé des premiers soins ; chaque fois que cela sera possible les morts seront transportés à distance et enterrés le plus dignement possible. Charles Galliet raconte, après une des batailles de décembre : « au sortir du service, groupés devant les tertres, nous entendîmes l’allocution du capitaine, et ceux que n’avaient pas émotionnés les balles, laissèrent se rougir leurs yeux aux paroles dites sur les tombes. »

Mais ce 22 mars, beaucoup de fantassins, accrochés dans les fils barbelés qu’ils n’avaient pas réussi à franchir, y restèrent sans que l’on puisse leur assurer une sépulture, ce qui était considéré comme le sort le plus affreux. Pour montrer à Charles Galliet leur attachement, deux fortes têtes qui lui avaient été confiées, lui avaient assuré : « si vous tombez un jour, nous irons vous chercher même sous les réseaux et nous vous rapporterons, mort ou blessé, nous en faisons le serment « .

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Mornes journées en mars

A la date du 22 mars, le Journal de marche détaille les différentes étapes de l’attaque si minutieusement préparée.

Comme d’habitude, les prévisions étaient honteusement optimistes et les hommes du 3e bataillon, courageusement lancés à l’assaut des lignes ennemies, se  heurtent aux fils de fer (pas encore appelés “barbelés”) que l’artillerie n’avait pas réussi à détruire: comment activer les cisailles sous le feu nourri des Allemands, bien à l’abri dans leurs tranchées?

Florilège:

Cette compagnie est prise sous un feu violent partant du rentrant sur son flanc droit. Le Capitaine, deux chefs de section, de nombreux hommes sont tués.”

“Tous les gradés et hommes qui essayent de couper les fils de fer sont tués ou blessés et restent supendus dans ces fils de fer.”

“le reste des premiers échelons, tapi contre les réseaux ne peut lever la tête sans être fusillé. Tous ces hommes creusent la terre pour faire une tranchée…”

 

 

L’attaque de la Ferme du Chamois, à proximité de Badonviller en Meurthe-et-Moselle est un exemple typique de ce que l’on a appelé “les vaines offensives de 1915”: il y en eut des dizaines tout au long du front pendant cette terrible année, la plus meurtrière de toute la guerre.

Maurice Martin-Laval, médecin-auxiliaire, dans une longue lettre à sa soeur, datée du 22 février 1915, décrit par le menu une telle offensive, très similaire à  celle du 22 mars:

“…trois lieutenants commandant chacun une section à 200 m d’intervalle (…) se promènent pensifs dans la tranchée. A quoi servira cette attaque, se disent-ils; nous ne pourrons jamais arriver au but, car les réseaux de fil de fer nous en empêcheront et par la suite nous sommes tous destinés à nous faire tuer sur place… Mais que faire? L’ordre d’attaquer est formel, il faut marcher.

(…)Des trois points les petits groupes s’avancent en criant et chantant, baïonnette en avant, au pas de gymnastique, vers la tranchée boche où ils doivent converger. Chaque groupe est ainsi constitué: un lieutenant, derrière lui six sapeurs du génie, sans fusil, armés de boucliers d’une main, d’énormes cisailles de l’autre (pour couper les fils de fer). Derrière eux toute la section, et fermant la marche, six sapeurs portant des pelles et des pioches, pou travailler sitôt arrivés dans la tranchée boche à la défense de celle-ci.

(…)Successivement chacun des lieutenants tombe frappé mortellement à la tête: les hommes, tel un château de cartes dégringolent tour à tour; ils continuent tout de même; quelques uns arrivent jusqu’aux fils de fer: ils sont trop gros hélas! Leur sergent tombe, un autre aussi. Que faire?…Avancer? Impossible! Reculer? De même… et tandis que froidement, à l’abri de leurs tranchées et de leurs boucliers, les Allemands visent et descendent chacune de ces cibles vivantes, les hommes se couchent là, grattant la terre de leurs doigts pour amonceler un petit tas devant leur tête et tâcher ainsi de s’abriter contre les balles.”

Il termine ainsi sa missive : “Et que penser (tant pis si la censure arrête ma lettre), je ne cite d’ailleurs pas de noms, que penser de certains chefs qui lancent des hommes sur un obstacle insurmontable, les vouant ainsi à une mort certaine et qui semblent jouer avec eux comme on joue aux échecs, avec comme enjeu de la partie, s’ils gagnent, un galon de plus.”

Le journal de marche précise les « pertes totales » pour le combat du 22 mars:

« 90 tués, 137 blessés, 28 disparus (restés dans les réseaux de fil de fer) »

 

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Mornes journées en mars

Napoléon, toujours considéré en 1915 comme le dieu de la guerre disait : « Faire la guerre c’est attaquer ! », alors on attaque… même si les chances de l’emporter sont extrêmement faibles.

L’Etat-Major s’hypnotise sur un nouveau dogme, celui de la percée de cette muraille que constitue le front figé de la Suisse à la Mer du Nord: une fois la ligne ennemie enfoncée à un endroit donné, le front craquera ;  le manque criant de réserves d’obus ne permettant pas cependant de réaliser ce plan dans l’immédiat,  en attendant des les reconstituer pour de grandes opérations, on va essayer de « grignoter ». Et puis pense-t-on dans les bureaux douillettement installés à l’arrière, le séjour aux tranchées finit par amollir le soldat, il faut soutenir son moral et sa combativité en lui imposant des offensives.

En mars 1915, le Général commandant la 141e Division en concocte une dans le secteur lorrain de Badonviller et de la Ferme du Chamois, position jugée stratégique occupée par les Allemands; on va donc entreprendre de les en déloger.

Le secret absolu sur cette opération doit être gardé : le mot « Secret » barre d’ailleurs la marge de certaines de ces sept doubles pages d’instructions consignées dans le journal de marche du 171e RI. Plusieurs Régiments sont impliqués dans cette attaque, mais c’est le 171e, considéré comme un Régiment d’élite, qui est chargé de l’attaque proprement dite « L’emploi du 171e est prévu pour une mission offensive à l’exclusion absolue du service des tranchées ».

Arrachés le 19 mars -sans aucun signe avant-coureur, on l’a vu- de leur cantonnement de Flin, les soldats se rendent à Vaqueville, douze kilomètres plus loin. « Le lendemain, écrit Charles Galliet, le bataillon bouclait les sacs et partait plus avant, il s’agissait disait-on, d’une reconnaissance dans le genre de celle que nous avions faite en Alsace, avec retour probable le lendemain ».

Paul Madeux précise quand même : « C’est dans ce nouveau village que l’on nous prépara à une attaque : distribution de vivres, de cartouches, de cartes, recommandations multiples, revues etc… De ma grange je voyais nos grosses batteries harceler déjà le boche : cela commençait à donner à réfléchir. »

Le 21 mars, le Colonel Suberbie, chef du 171e RI, détaille par le menu dans le journal de marche la stratégie qui sera employée, croquis à l’appui, et précise le rôle de chaque bataillon : le premier (celui de Léon) aura la fonction de soutien, le deuxième sera placé en réserve, le troisième effectuera l’attaque proprement dite.

L’offensive est prévue pour le 22 mars, à l’aube.

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Mornes journées en mars

Le déplacement des troupes étant décidé en haut lieu, dans le plus grand secret, l’Etat-major du Régiment est averti de ces mouvements au dernier moment par un ordre qui est recopié fidèlement dans le journal de marche. Tout est prévu jusqu’aux plus petits détails d’intendance, de façon très tâtillonne, ce qui laisse peu de marge de manœuvre au Colonel qui le dirige. Lors du compte rendu ultérieur, il devra expliquer les raisons pour lesquelles le plan n’a pu être complétement respecté.

Ayant séjourné depuis le 18 février dans les villages autour de Commercy, « le temps ayant été uniquement employé à faire des manœuvres sur le plateau au-dessus d’Euville ou à des marches avec chargement complet du côté de Sorcy», note le Caporal-fourrier Madeux, la troupe va reprendre la route le 2 mars. Trois mille hommes vont marcher par compagnies suivant l’itinéraire prévu jusqu’à Sepvigny (« petit village très propre », apprécie le même).

Ils passent par Vaucouleurs, ce qui exalte le patriotisme des jeunes gens bercés depuis leur plus jeune âge aux récits patriotiques, celui de Jeanne d’Arc en particulier : « Le 3 mars, nous partions à pied en direction du sud, nous traversions Vaucouleurs… à ces trois syllabes semblait faire écho le pas cadencé qu’on nous avait ordonné dans la traversée de la petite ville. »

Le cantonnement à Sepvigny est interrompu brusquement le 6 mars (« laissant à d’autres les restes de nos repas » regrette Charles Galliet), la troupe embarquant dans un train de wagons à bestiaux, suffisamment confortables cependant pour des parties de cartes.

« ce n’était pas l’habitude des services de l’armée d’user des transports en chemin de fer pour déplacements sans urgence, toutes les craintes nous étaient permises; alors quand nous fûmes installés dans les wagons, comme nous l’avions fait jadis au départ de Belfort, nous nous penchâmes pour chercher dans la direction prise une réponse à l’interrogation que posait notre angoisse. »

A destination il fut cependant rassuré : il s’agissait de Flin en Meurthe et Moselle, cantonnement de l’arrière du sous-secteur des Vosges.

Il y faisait très froid mais l’accueil des habitants fut chaleureux :

« Au début des hostilités, le pays avait été occupé par les Allemands, puis les troupes françaises étaient revenues ; mais ils n’avaient jamais vu des soldats aussi fatigués que nous parmi ceux qui passaient depuis et régulièrement stationnaient vingt jours chez eux puis vingt jours aux avant-postes. Nous pouvions espérer un semblable repos. »

… mais le repos ne dura que treize jours, le 19 mars ils étaient repartis !

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Mornes journées en mars

La pire crainte des soldats, exposés à la mort dès qu’ils montent aux tranchées, est de disparaître purement et simplement de la surface de la terre, n’ayant même pas la certitude d’une inhumation décente. On comprend dès lors qu’ils aient eu à cœur de se faire photographier.

Cette technique était en 1915 relativement nouvelle et les appareils photographiques ne s’étaient pas encore répandus dans le grand public.

Maurice Genevoix, en balade à Verdun, après être passé aux bains publics et chez le coiffeur pousse donc la porte d’un photographe, M. Anselme, qui le fait poser devant un rideau peint à l’huile, herbes vagues en camaïeu sous des nuages en volutes harmonieuses : « Levez la tête…. un peu en avant, la jambe gauche… l’air martial, que diable lieutenant ! ». Un beau lieutenant de carte postale dans sa vareuse trop courte, ironisera-t-il en recevant les épreuves quelques semaines plus tard.

Maurice genvoix

Charles Galliet parti en courses à Commercy raconte de son côté : «Nos achats terminés, j’invitai Paine et le conducteur Olivier à casser la croûte au restaurant, il fallait profiter au maximum de l’évasion ; nous passâmes même chez le photographe, un monsieur Gabriel, homme de précaution, qui nous fit payer d’avance et nous demanda l’adresse de nos parents pour leur expédier les dites photos en souvenir de nous si nous n’avions pas l’avantage de vivre encore dix jours pour aller les reprendre nous-mêmes. Nous comprîmes que la confiance en notre destinée était très limitée. »

Le même Charles Galliet signale plus loin qu’à Euville, où le Régiment cantonnera du 18 février au 2 mars, un évêque venu des colonies pour s’y reposer et desservir la paroisse, ayant pour ambition l’embellissement de son église néo-gothique à deux clochers, « s’était fait photographe des soldats de passage qui désiraient leur portrait, le prix était si modique que tous les troupiers faisaient chaque jour la queue devant la cure en attendant leur tour de passer devant l’objectif. »

Il est possible que la photo ci-dessous du Sergent Léon Muhr,  ait été réalisée par ce prêtre, ce qui expliquerait le prie-dieu, sur lequel il est installé, assez commode pour faire poser « à la chaîne » tous ces soldats !

Leon Murh

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Mornes journées en mars

Le Régiment était arrivé le 13 février à Levoncourt dans un piètre état : « qu’ils étaient sales nos frères d’armes après la période de tranchées qu’ils venaient de faire ! Tous étaient en train de se nettoyer, de « décrotter » leurs capotes, en un mot de remettre leur fourniment en ordre ; qu’ils avaient l’air fatigués par ces longues périodes de tranchées ! » s’exclame, dans son carnet, le caporal fourrier Paul Madeux qui vient de rejoindre son unité.

La fatigue des hommes n’empêcha pas leur vaccination contre la typhoïde :

«…Le lendemain, dans une cuisine abandonnée qui servait d’infirmerie, nous offrions notre chair aux piqûres du docteur Chrétien ; il fallait arrêter les ravages de l’épidémie de typhoïde qui sévissait dans nos régiments. J’en souffris peu, beaucoup de mes camarades terrassés par la fièvre demeurèrent pendant deux jours étendus sur la paille des cantonnements ; mais aucun ne murmurait, les séances de vaccination nous assuraient douze jours de repos. » écrit Charles Galliet.

Le 17 février cependant, les soldats furent transférés en « camion automobile » à 30 kilomètres de là, aux environs de Commercy, les bataillons se répartissant entre plusieurs villages : Void, Vacon, Ville Yssey, Sorcy, St Martin et Euville. Comme Vignot ceux-ci étaient d’agréables cantonnements.

« Nous ne pouvions regretter l’aride Levoncourt, mais nous nous retrouvions déjà plus près du Bois d’Ailly. Allions nous donc tourner toujours dans un arc de cercle maudit, autour de la forêt sanglante ? » s’interroge Charles Galliet.

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Mornes journées en mars

Où étais-tu en août ? demande à brûle pourpoint le lieutenant Genevoix à un des ses subordonnés et celui-ci ne réalise pas tout de suite qu’il lui parle de sa vie d’avant ; « j’étais comptable » répond-il. Et ce passé leur semble à tous deux si lointain, ces quelques mois écoulés depuis la mobilisation leur donnant l’impression d’avoir mûri les jeunes gens insouciants qu’ils étaient alors,  comme s’il s’était agi d’années!

Léon avant la guerre, comme cela a déjà été évoqué dans l’article « Né quelque part », était négociant en taillanderie (objets de quincaillerie, outils, couteaux); l’ entreprise familiale existait depuis au moins deux générations. Il travaillait avec son père et son oncle et, comme l’écrit Jean Menneglier dans ses souvenirs, «leur commerce devait bien marcher car ils avaient acheté une automobile pour faire leur tournée. Il en restait un ou deux pneus cloutés, comme on les faisait à ce moment-là et des bidons d’essence dans une caisse en bois car l’essence ne se vendait pas encore à la pompe… Il ne restait plus de leur activité que la voiture à cheval rangée au fond d’une remise, des prospectus utilisés aux cabinets et des boîtes à outils que la Tante distribuait à droite et à gauche. »

Certains de ces outils, estampillés « Mühr » ont été conservés dans la famille et servent encore.

Hache

Léon, jeune homme assez favorisé, d’un niveau d’éducation 3 (selon sa fiche militaire, ce qui veut sans doute dire titulaire du certificat d’études ou même du brevet supérieur), s’initiait au commerce ; dans une carte postale de 1910, adressée à sa cousine Adèle Pequignot, il évoque les foires où il se gèle les doigts (mais, dit-il, il faut bien que le métier entre). Il y parle aussi de ses loisirs : du théâtre amateur organisé sans doute par la paroisse de Cusance ; dans une autre des leçons d’harmonium données par sa tante religieuse, Marthe, qui qualifie ses débuts de prometteurs. Jean Menneglier se souvient aussi de sa carabine et de son pistolet « le Français » rangés soigneusement à Guillon. Chasser et pêcher la truite dans le Cusancin devait faire aussi partie de ses passe-temps.

A dix-huit ans Léon faisait partie de la bande des « gars de Guillon », avec lesquels il « rigolait bien », parfois aux dépends des autres villageois, comme un marié venu « des colonies » pour épouser une jeune fille qui en réalité en aimait un autre : « devine qui remplacera son mari lorsqu’il sera reparti en Afrique ? »

CP Guillon 1908 r

Le dimanche après la messe à Cusance, qui réunissait les habitants des trois villages du «Val », on partageait en famille le chou garni de « côti » (petit-salé), de lard et de saucisses de Morteau au cumin.

Félicie Mühr entretenait avec ses sœurs (Hortense Pequignot, mon aïeule, Joséphine Hienne et Marthe déjà citée) des relations chaleureuses. Léon qui était fils unique fréquentait beaucoup ses cousins Paul, Marie, Adèle et Jeanne. Comme indiqué ci-dessus, beaucoup de renseignements le concernant viennent de sa correspondance avec Adèle Pequignot, ma grand-mère ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

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Mornes journées en mars

Dans la nuit du 30 au 31 janvier (vous l’avez déjà remarqué, les mouvements de troupe se font toujours de nuit, pour d’évidentes raisons de sécurité), le 171e RI, tout entier, quitta Vignot pour aller relever dans les tranchées deux bataillons du 172e et un du 95e.

Il allait occuper, dans la forêt d’Apremont,  le secteur du « Bois brûlé » ainsi nommé sans doute en raison d’un ancien incendie, mais qui n’avait jamais si bien mérité son nom !

« Au sommet du Bois brûlé, poudré de neige quand nous y fîmes la relève, écrit Charles Galliet, il ne manquait le dominant qu’un Christ en croix pour en faire un calvaire.

On ne pouvait imaginer plus tragique vision que ce bois massacré, tel qu’il nous apparut sous le plus lugubre des clairs de lune. De ce qui avait été la forêt, il ne restait que les troncs des plus gros des arbres, hêtres et chênes fracassés à hauteur d’homme ; branchages et baliveaux avaient été fauchés par la mitraille pendant six mois de tirs incessants et, plus nombreuses que les troncs des arbres subsistants, c’étaient des croix sur des tertres, des croix au ras du sol, elles mêmes massacrées, couchées dans tous les sens.

Il fallait vivre là! L’homme n’était plus rien, la mitraille était tout ; les mitrailleuses des deux camps balayaient jour et nuit la surface du sol où semblait avoir passé une coulée de lave sur des débris de forêt, et les obus percutaient sans arrêt sur le glacis sinistre, hachant des leurs éclats les abris et les hommes. »

Dans la nuit du 12 au 13 février, les bataillons relevés partirent cantonner à Levoncourt. Le commandement qui savait l’étape rude avait prévu que des voitures seraient mises à la disposition des soldats pour les décharger… mais certains étaient en si piètre état qu’ils y furent eux-mêmes hissés, traversant les villages sous des bâches pour ne pas être vus de la population.

Arrivée au bout de sa route, toute la troupe n’eut qu’une idée: dormir. Les hommes s’écroulèrent sur la paille des granges ; la soupe, déposée par les cusiniers, resta là refroidie jusqu’à leur réveil.

Le lendemain ils seraient vaccinés contre la typhoïde !

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Mornes journées en mars

Le 23 janvier, le Régiment redescend du front pour aller  « cantonner joyeusement à Vignot « , comme l’écrit Charles Galliet.

Joyeusement, car la troupe qui y a déjà séjourné en novembre, connaît ce gros village à proximité immédiate de Commercy.

Même si on dort dans des granges, sur des litières de paille, la vie dans un village épargné complètement par les destructions a un tout autre agrément qu’un cantonnement dans les demi-ruines totalement vides d’habitants de certaines localités meusiennes.

On y trouve des lavoirs pour son linge et des blanchisseuses pour les plus fortunés qui ont les moyens de se payer leurs services (ce qui était sans doute le cas de Léon). On peut se laver, se raser, se faire couper les cheveux, soigner les plaies de ses pieds endoloris par les marches et l’impossibilité dans les tranchées de se déchausser, même pour dormir.

Et puis on retrouve une vie sociale, jouer aux cartes entre camarades ou avec les villageois; aller à une vraie grand-messe chantée… mais si, cela pouvait à l’époque être un vrai moment de délassement ! (cf. article Annexes : Pallu promu)

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Charles Galliet : « Quand on avait en un quelconque village vécu même pendant très peu de temps avec les habitants, on gardait l’impression de les avoir connus durant de très longues années. Il nous sembla dès l’arrivée à Vignot que tout un passé nous était rendu brusquement ».

Il s’amuse par ailleurs de l’idylle naissante entre une jeune fille du pays et un de ses camarades fier de revenir avec un galon tout neuf «à présenter à la jeunette dont il aimait la compagnie ».

En bref, un tel cantonnement c’était retourner à la civilisation …

Mais le commandement n’oublie jamais d’ordonner des parades et des exercices , de peur que le soldat toujours suspect à la hiérarchie, ne s’amollisse dans un tel luxe!