Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

Le Régiment était donc de retour à Commercy le 16 au matin.

Le 17 janvier : repos à Commercy

Le 18, idem, mais un ordre général prévoit de le renvoyer au front pour relever deux bataillons du 227e et un bataillon du 13e.

Ce qui sera fait le soir même !

Le 3e bataillon monte à 17h à la lisère est du bois de La Louvière. Pour s’y rendre (par Vignot, Boncourt, Mécrin , Marbotte), empruntant une route pouvant être vue de l’ennemi, « les sections marcheront par un, sur le côté défilé de la route, se succèdant de 4 en 4 minutes, elles marcheront ainsi jusqu’au delà de Marbotte ».

Le bataillon occupera dans les tranchées le secteur qui lui est dévolu jusqu’à la relève.

le guetteur

 

« la boue nous accablait; mais la boue nous sauvait ; toute action offensive devenait impossible, des deux côtés on semblait économiser les munitions et les réserver pour les chocs du printemps. La maladie en revanche enlevait tous les jours des hommes aux effectifs des lignes. Les moins résistants s’en allaient vaincus par les veilles des nuits, par les froids du matin… », écrit Charles Galliet

Cinq jours plus tard, le 23 janvier au soir, tout le Régiment (les trois bataillons) partira cantonner à Vignot, village proche de Commercy.

 

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

Le 26 décembre donc, tout le régiment descendit à Commercy, jolie petite ville à proximité du Bois d’Ailly, pour y cantonner et prendre à l’abri de la caserne Bercheny un repos bien mérité. Les soldats en profitèrent, après avoir retrouvé une hygiène normale, pour nettoyer et réparer leurs effets.

Cette halte fut cependant de très courte durée: le 2 janvier ordre fut donné à tout le régiment de remonter au Bois d’Ailly. L’étape (16 km), sous la neige, fut rude.

Le 1er et le 2e bataillon s’installèrent directement dans les tranchées et y restèrent jusqu’au 15 janvier.

Le 3e resta en réserve à Pont-sur-Meuse. Chargé le 8 janvier d’aller soutenir le 56e RI dans l’occupation d’un entonnoir créé par un obus,  cette aide s’étant avérée inutile il fut renvoyé au cantonnement à Commercy le 10.

« …était-ce habitude nouvelle, on nous remettait en caserne. Pour combien de temps ? …avoir fait tant de chemin pour si peu de répit, ce n’était pas la peine, on se moquait de nous. » écrit le Sergent-major Galliet, un du 171eRI, dans ses souvenirs publiés dans les années soixante.

Le 11 janvier à 23h, en effet, le 3e bataillon repartit pour le Bois d’Ailly où il arriva le 12 janvier à 7h (après avoir marché une grande partie de la nuit) ; une mission de choix lui était confiée: attaquer le 14 janvier une tranchée ennemie, selon une procédure bien réglée sur le papier par l’Etat-major. Une mine en explosant devait créer un entonnoir au milieu de cette tranchée. C’est la douzième compagnie  qui fut chargée d’aller occuper l’entonnoir et de prendre pied dans la tranchée allemande de part et d’autre de celui-ci. L’affaire réussit tout d’abord, mais les renforts ayant été –une fois de plus- décimés par « un tir malheureux d’une de nos batteries de 75 » (8 morts et 8 blessés dont l’officier, quand même !), et les Allemands ayant contre-attaqué violemment, il fallut se résoudre à se replier.

Pertes pour la compagnie : 1 officier blessé, 86 hommes de troupe tués ou blessés.

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Toujours pas de répit…

L’année 1914 se terminant, l’Etat-major découvre qu’il n’y a pas de solutions classiques à la paralysie du front: il faudra patienter jusqu’au printemps pour reprendre l’offensive et –espérons-le- faire un sort définitif à l’ennemi; la défensive a fini par s’imposer sur l’offensive, moins coûteuse en hommes (300 000 Français et 260 000 Allemands sont morts en 1914, ce qui en fait l’année la plus meurtrière de la guerre) mais démoralisante. Chaque camp, dans le froid, l’humidité et l’ennui, tient ses tranchées. Le Généralissime Joffre, patelin, invente un nouveau terme qui fera florès en 1915: le grignotage, dont on a vu quelques exemples dans les attaques peu fructueuses menées en octobre et novembre au Bois d’Ailly.

Les Allemands quant à eux, rêvent d’un plan Schlieffen à l’envers : repartir à l’assaut de la Russie, pour voler au secours de l’Autriche en diffficulté, quitte à dégarnir un peu le front de l’ouest, figé par l’hiver.

Alors vivement 1915 pour que cette guerre finisse !… l’illusion continue

A l’arrière on s’envoie des cartes de vœux comme celle-ci, avec de jolis Poilus à la tenue impeccable, bien rasés et très propres, ce qui n’avait rien à voir avec la réalité et énervait beaucoup les soldats quand ils les découvraient !

nouvel an 2015

Le 26 décembre, les trois bataillons du 171e RI se sont rendus isolément à Commercy pour y cantonner, mais attention, comme l’écrit dans son ordre le Colonel de Certain: « les chefs de bataillons s’efforceront d’utiliser au mieux le temps passé en réserve pour remettre leurs bataillons en main ». Pas question d’un repos amollissant…

 

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

Jamais les soldats, partis en août repousser l’ennemi par une campagne prévue rapide, n’auraient imaginé se trouver encore au front à Noël! Triste Noël que celui de 1914: blottis dans les tranchées, les soldats auront tout loisir de se rappeler à quel point cette fête pouvait être douce au sein de leur famille.

Le Pape Benoît XV, fraîchement nommé pour succèder à Pie X, dont on peut dire qu’il était mort de consternation juste après la déclaration de guerre, avait bien essayé par discours et encyclique d’enjoindre les belligérants de cesser le combat. Ayant échoué, son discours pacifiste étant inaudible par toutes les parties en présence, même catholiques, il tenta de négocier à tout le moins une supension des combats le 25 décembre: que les armes se taisent une journée pour faire place au recueillement, est-ce trop demander ? Mais les réponses à cette proposition furent au mieux dilatoires, au pire négatives, chacun des pays se jugeant dans son bon droit et pressé d’en finir avec le camp d’en face : il n’y eut donc pas de trève de Noël .

Et pourtant ce que les chefs militaires et politiques avaient refusé officiellement, les hommes vont le réaliser spontanément : la nuit de Noël, sur plusieurs endroits du front, des scènes de fraternisation eurent lieu entre ceux qui, la veille encore échangeaient coup de fusil et obus. On chante d’une tranchée à l’autre des chants de Noël, on s’applaudit, parfois on s’avance entre les lignes pour échanger des cigarettes et du chocolat. Les journaux anglais, trouvant cela chevaleresque en rendront compte ; du côté français, tout fut fait pour minimiser ces « incidents » et , officiellement du moins, il ne s’est rien passé pendant la nuit de Noël 1914.

Léon dans sa tranchée, transi de froid car il gelait depuis le mois de novembre dans la Meuse, aussi fervent chrétien que patriote, a du se poser bien des questions sur la nécessité où il était de tirer sur des soldats bavarois, catholiques comme lui. On ne sait pas si, au Bois d’Ailly, il y eut des échanges entre les lignes ennemies, situées à quelques dizaines de mètres de distance ; en tout cas le journal de marche n’en dit rien.

Le 171e régiment d’Infanterie eut un tué pendant la journée du 25 décembre.

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Toujours pas de répit…

Le 17 novembre, une action est menée par le Lieutenant Colonel Bénier, nouveau patron du 171e: il a reçu l’ordre d’attaquer le saillant sud-ouest du Bois d’Ailly, de manière à prendre le rentrant ennemi désigné par un A sur le croquis ci-dessous, avec l’aide d’éléments du 172e et de plusieurs compagnies du 56e. Un certain succès est obtenu, les troupes engagées gagnent du terrain sur une profondeur de 70 à 80 m. Les hommes creusent alors des tranchées et se mettent à l’abri derrière des boucliers pour « s’assurer un front intangible en vue d’une progression ultérieure ».

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On peut penser que la compagnie de Léon se trouvait dans les tranchées déjà occupées par le 171e en première ligne et fut chargée du lancement de grenades. L’attaque supendue à 12h20 pour permettre des reconnaissances reprend à 15h40, mais la progression est faible (une trentaine de mètres !) et on doit se rendre à l’évidence de l’impossibilité d’avancer davantage dans un terrain aussi difficile (fourrés inextricables).

Pour le 171e les pertes seront de 7 blessés et 1 disparu. Par contre la 12e compagnie du 56e subira des pertes sensibles.

Le 24 novembre le Journal de Marche mentionne que le Lieutenant-colonel de Certain prend le commandement du 171e et que le lieutenant-colonel Bénier passe au 172e (il n’était à la tête du 171e que depuis le 1er novembre !)

Le 26 novembre une nouvelle attaque est tentée impliquant cette fois le 2e bataillon (ne concernant donc pas Léon). Les Français, soigneusement disposés en colonnes par les stratèges qui les dirigent, quittent leurs tranchées, font 25m et sont accueillis par un feu ennemi violent, ils se terrent après avoir éprouvé de lourdes pertes et ne progressent plus ; à cela s’ajoute que la dernière compagnie qui devait être engagée « reçoit 3 obus malheureux » (c’est à dire venant par erreur de l’artillerie française !) qui met hors d’état de combattre « 83 hommes en deux minutes ».

Dans ces conditions l’attaque sera suspendue. Pertes : 2 officiers et 253 hommes de troupe tués.

Le chef du 2e bataillon s’adresse en ces termes à ses supérieurs :

« J’ai le devoir de vous signaler l’extrême fatigue des hommes. En réserve de secteur le 18, employés depuis cette date, ils n’ont pour ainsi dire pas eu une nuit de sommeil. Les deux journées du 26 et du 27 ont été notamment très dures pour eux.

J’ai rendu compte du fait au Colonel Valentin en spécifiant bien que je ne prétendais pas soustraire mon bataillon aux devoirs qui pourraient de nouveau lui incomber, mais simplement renseigner le Commandement sur le degré de résistance qu’on pourrait en attendre. »

Du 27 novembre au 14 décembre, c’est « sans changement » avec toujours les pertes quotidiennes : tués, blessés, ou néant

Le 14 décembre cependant quelques lignes font sobrement état d’un réel succès qui concerne le bataillon de Léon:

« le 1er bataillon du 171e occupant les tranchées de 1ère ligne a enlevé le poste ennemi en avant de la droite de la zone gardée par lui et a commencé l’organisation de l’élément de la tranchée enlevée. »

 

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

Le journal de marche et des opérations du 171e recopie le 25 octobre l’ordre n°121 (qui félicite les troupes de Belfort pour leur bonne conduite et leur ardeur au combat) et sur la même page l’ordre n° 122 qui annonce une attaque pour le 27 dans le secteur du Bois d’Ailly.

« l’ennemi qui est devant nous a diminué de nombre et de qualité, affirme le Général en préambule, ce serait honteux de nous laisser tromper par une façade, solide sans-doute, mais qui masque presque sûrement un ensemble affaibli. »

On va donc attaquer… par surprise.

Stratégie brillante sur le papier :

 

Le 27 octobre une attaque surprise sera exécutée sur les tranchées ennemies au sud-ouest du Bois d’Ailly : s’en emparer et aborder l’allée forestière pour « l’enfiler immédiatement par des feux, si possible de mitrailleuses ». Poursuivre ensuite la conquête des tranchées une à une et atteindre la lisière nord des bois.

(…)

L’attaque sera déclenchée aux premières lueurs du jour par 25 hommes « choisis résolus – bien commandés- connaissant bien le terrain ». Cette troupe s’élancera depuis la tranchée A(française) sur le saillant S (allemand), à la grenade et à la baïonnette, appuyée par des patrouilles mordantes et les flancs étant gardés.(…) Des hommes munis de sacs de terre seront prêts à établir des traverses dans la tranchée conquise.

Les éléments d’attaque seront munis de cisailles.

Les tranchées conquises seront immédiatement organisées tandis que les troupes de seconde ligne progresseront vers l’allée forestière.

L’artillerie ne sera pas appelée pour ménager l’effet de surprise mais elle se tiendra prête à battre le sommet du Bois d’Ailly.

Les soldats seront pourvus d’un repas froid copieux.

Résultats dans la réalité:

A 5h30, le détachement de reconnaissance, en trois fractions, se porte vers la tranchée à conquérir. Un de ses membres, un sous-lieutenant, est perdu en route (il sera retrouvé le 28, le képi troué, complétement hébété). Les autres, sous le commandement d’un adjudant vont de l’avant, trouvant un passage entre les abatis (branchages et fils de fer enchevêtrés) –des « trous de loup »- Il divise sa troupe en trois : les uns vers la droite, les autres vers la gauche, lui et quelques hommes au centre. Il commande   à voix basse « en Avant ! », (ce qui est la devise du 171e !!). Trois grenades sont lancées par dessus le parapet de la tranchée, deux seulement éclatent. Les hommes tirent sur la sentinelle allemande et sur des hommes couchés dans des niches. Les Allemands ripostent et tous les chefs français du détachement sont tués ou blessés.

5h50 : les colonnes d’assaut tentent d’entraîner leurs hommes mais c’est trop tard, le feu violent de l’adversaire les cloue sur place : la surprise a échoué.

6h20 : l’artillerie agit en vain et doit rectifier son tir après 10 mn (ils tiraient sur leurs camarades ?)

7h15 : nouvelle vaine tentative d’assaut, deux officiers tombent (1 tué, 1 blessé)

7h40 : le Colonel insiste : que l’on force l’obéissance (souligné dans le texte)

…mais les Français, dès qu’ils se lèvent sont aussitôt fauchés par les mitrailleuses allemandes qui sont à moins de 50m !

8h40 : nouvel ordre d’attaque, après préparation par l’artillerie, par petites fractions. Le mouvement s’exécute lentement avec beaucoup de difficultés.

Bas état moral de la troupe, qui a perdu beaucoup de ses chefs, est composée par ailleurs de nombreux réservistes nouvellement arrivés, ou de soldats qui ont déjà à 4 ou 5 reprises attaqué vainement ces mêmes ouvrages ennemis dont ils connaissent la qualité et l’organisation.

Devant ces faits, le Général commandant la Division ordonne de suspendre l’opération.

Résultat de la journée :

Une légère progression (50 m environ du côté des tranchées allemandes, 50m vers le nord) et la bande de terrain conquise a aussitôt été organisée en tranchées.

Pertes pour le 171e RI:

18 tués, 41 blessés, 25 disparus

« …presque tous dans le seul mouvement pour se dresser et franchir les tranchées »

Le Colonel Pallu qui dirige le 171e RI, signale en outre le manque d’outils du génie (pioches en particulier) et l’inutilité d’un nouvel engin le « bouclier roulant », inutilisable dans la partie boisée et garnie d’abatis où se trouvent les tranchées

 

Le quasi échec de l’opération du 27 octobre sera constaté par le Général commandant le 8e C.A., attribuant l’insuccès au malheureux coup de feu tiré trop tôt, « alors que la baïonnette était si bien indiquée »… mais dit-il « la tentative est toute à l’honneur des régiments de la Brigade de Belfort, notamment du 171e ». Les morts et les blessés seront décorés… Le Colonel, après avoir transmis ces remarques et ces félicitations à ses troupes conclut : « Préparons nous à mieux faire. Pour la Patrie. Toujours. Signé : Pallu »

Cette vaine offensive, qui sera suivie de beaucoup d’autres, illustre à merveille la culture de l’offensive à tout prix qui prévalait chez les officiers français au début de la guerre.

Pour Charles Galliet, cette date du 27 sera désormais funeste. Il témoigne: « Les Allemands avaient dissimulé dans leurs parapets des armes fixes dont le tir était ajusté sur chacun de nos créneaux; ils n’avaient plus besoin de viser, chaque fois qu’ils pressaient sur la gâchette la balle faisait mouche sur la tête de nos pauvres tireurs. »

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

 

Nous avons donc laissé Léon et ses camarades en cantonnement à Rougemont-le-Château, à côté de Belfort.

Le 28 septembre, changement de décor : le 171e Régiment d’Infanterie est transporté à Lérouville dans la Meuse « en trois trains », arrivés sur place le 29 entre 4h et 11h du matin.

C’est la gare la plus proche du « saillant de St Mihiel », du nom de la localité meusienne venant quelques jours auparavant d’être prise par les Allemands, qui ont également pris les hauts de Meuse, collines surplombant le fleuve, position considérée comme stratégique et que les responsables français estiment indispensable de reprendre ; elle protège en effet Verdun, déjà très convoitée par les Allemands.

Deux heures de repos qui permettent d’avaler une soupe et la troupe commence à se diriger vers les crêtes de Meuse; là se trouve le Bois d’Ailly, dont le nom poétique cache des ruisseaux de sang.

« La guerre semblait venir à notre rencontre; des paysans fuyaient la bataille, chassant devant eux leurs troupeaux, des chars passaient chargés de ce que leurs conducteurs avaient pu sauver de leurs maisons, et dans tout cela, suivant le même chemin, des ambulances d’où s’échappaient des plaintes de blessés et des odeurs de pharmacie… » note Charles Galliet

Le 3e bataillon est envoyé dès la descente du train à l’attaque, pour « renforcer une ligne de feu établie au sud-est de ce bois ». Il progresse sur le chemin qui borde le bois à l’est, mais « est rejeté dans le ravin ».

Une bande de papier collée sur le journal de marche cache sans doute les pertes de la journée du 29 septembre qui seront récapitulées ultérieurement .

L’offensive française qui vise à protéger Commercy va durer jusqu’au 1er octobre, violente, causant beaucoup de pertes:

Charles Galliet: « c’était autour de nous le massacre de tout, de la nature et des hommes; on nous tuait à genoux, on nous tuait allongés, les branches déchiquetées tombaient sur les corps; dans cet enfer nous tirions sans arrêt, jusqu’à l’épuisement complet des munitions... »

le journal de marche: « on tente vainement de sortir des tranchées sous le feu extrêmement violent de l’ennemi qui paraît s’être renforcé».

Le 2 octobre, le JMO récapitule :

Tués : 1 officier, 13 sous-officiers, 79 soldats

Blessés : 18 officiers, 39 sous-officiers, 32 soldats

Disparus (ce qui veut dire la plupart du temps tués) : 3 officiers, 7 sous-officiers, 330 soldats

La bataille se poursuit les 3 et 4 octobre, avec une vingtaine de pertes par jour.

Puis tout le Régiment part cantonner (c’est à dire se reposer à l’arrière, dans des conditions que l’on évoquera plus tard) jusqu’au 7 et on inscrit alors : pertes néant

Le 12 octobre, les 11e et 12e compagnies qui étaient restées en réserve remontent en 1ère ligne. Elles succèdent à la 1ère compagnie (celle de Léon) qui vient de reprendre les tranchées « perdues la veille par le 134e  (un autre Régiment d’Infanterie), oh les vilains ! »

Les pertes émaillent à nouveau le JMO.

Le 21 octobre, nouvelle arrivée de renforts (les trous sont rebouchés dans les effectifs des compagnies!)

Puis le va-et-vient continue entre les tranchées de 1ère ligne et la réserve en arrière jusqu’au 24 octobre.

Le 25 octobre, le JMO recopie l’ordre général n° 121, émanant du QG de Commercy :

« Depuis le commencement du mois d’octobre les troupes du 8e C.A. et de la Brigade de Belfort (souligné dans le texte) ont livré, dans la forêt d’Apremont et dans la vallée de la Meuse une série de combats meurtriers sans cesser un seul instant de témoigner de leur bravoure, de leur endurance et aussi de la plus stricte discipline.

Toutes les unités ont occupé au cours des opérations des postes dangereux ou pénibles devant le village d’Apremont et le Bois Jurat, à la redoute du bois Brûlé, dans les forêts d’Apremont et de Marbotte, devant le Bois d’Aillly, dans les presqu’îles de la Meuse et les éloges du présent ordre s’adressent à toutes… »

Signé par le Général de Mondésir Cdt la 8e C.A.

On verra que l’ordre général n° 122, recopié dans le journal de marche le lendemain 26 octobre sera d’une toute autre nature.

 

carte-apremont-1914

 

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

Le 2 août , Léon se trouve donc au fort de Belfort, à la porte de l’Alsace et justement la stratégie du Généralissime Joffre (sa seule stratégie d’ailleurs, on le verra plus tard) prévoit pour des raisons politiques et sentimentales d’entreprendre la reconquête de la province perdue…

La frontière est franchie dès le 7 août, avant même que la concentration des troupes ne soit achevée et le Général Curé entre triomphalement à Mulhouse le 9 août . « Le mordant de nos troupes a été prodigieux » se félicite Joffre. Hélas le succès fut de courte durée et c’est dès le lendemain le repli sur Belfort « à toutes jambes ». Les Allemands qui avaient bien entendu anticipé depuis longtemps ce besoin de reconquête des Français, avaient bien pourvu la région en ouvrages défensifs et s’étaient vite ressaisis après cette première attaque ! Vu l’importance symbolique de l’enjeu, l’Etat-major met le paquet avec une seconde offensive plus importante qui permet le 19 août de réoccuper Mulhouse qui sera cependant aussitôt reperdue, ce qui vaudra sa disgrâce au Général Bonneau.

Mais revenons à Léon, (qui je le rappelle était par son père d’origine alsacienne) et au 171e régiment d’infanterie. Dès le 6 août le Régiment est chargé de missions de reconnaissance, puis se porte en Alsace. Il tourne à l’arrière des troupes chargées de l’offensive sur un territoire qui va de Belfort à Mulhouse. Le journal de marche cite ces mouvements entre les localités de Rastatt, Roppe village, Dammarie, Montreux-le-vieux, Bethonvilliers, Soppes-le-bas, Félon, Montreux-le-jeune, la Chapelle-sous-Rougemont. (une surface à peu près carrée de 40km environ de côté). Ce mouvement limité s’explique par le fait que ce corps avait pour tâche principale de défendre Belfort, ce qui impliquait qu’il ne s’en éloigne pas trop ! Par ailleurs il était composé essentiellement de réservistes, dont l’Etat-major se méfiait beaucoup au début de la guerre (contrairement aux responsables allemands qui misèrent sur leurs réservistes dès le début des hostilités). Donc on avait tendance à les considérer comme des « seconds couteaux ». Cependant cette anecdote relatée dans ses mémoires par Charles Galliet,  sergent lui aussi au 171e RI, est caractéristique des sentiments que pouvait éprouver la troupe pendant cette « drôle de guerre »:

« L’Alsace!! nous l’avions aimée tout au long des années de notre enfance depuis l’école où nos instituteurs du bout de leur baguette montraient sur les cartes murales la tache sombre des départements perdus, nous l’avions aimée tout au long de nos années de  jeunesse lorsque dans nos familles on chantait pendant les veillées les couplets nostalgiques de la vieille province.

Nous évoquions ces souvenirs en arrivant dans la forêt quand nous vîmes dans le fossé du chemin deux tertres, deux tertres et deux croix, le premier c’était celui d’un dragon français, le deuxième celui d’un uhlan.

La guerre c’était aussi cela, et pas seulement des drapeaux déployés sur la terre conquise; et le silence dans la colonne se fit soudain et sans commandement. »

Alsace

Peu d’incidents majeurs donc pendant cette période, sauf le 12 août où une cannonade sur Montreux-le-vieux blesse mortellement un capitaine.

Le 28 août le Régiment est à La Chapelle-sous-Rougemont pour exercer une mission de « Résistance et surveillance »

Le 1er septembre une patrouille cycliste essuie vers Gervenheim les coups de fusils d’une patrouille cycliste allemande.

Le 4 septembre à Félon, la troupe est occupée à réaliser des ouvrages de fortifications.

Les jours gratifiés d’un « rien à signaler » émaillent le journal de marche, en belles cursives.

Mais les choses sérieuses vont commencer…

Le 9 septembre, le Général dirigeant les opérations d’Alsace demande l’aide des « troupes de Belfort » qui se portent à Thann ; celles-ci essuient de violents tirs d’artillerie et un orage ayant avancé la nuit, retournent à Félon, ce qui, précise l’officier qui rédige le rapport, « n’est pas un repli mais la suite logique de l’opération ».

30 blessés sont à déplorer dans ce premier combat. Mais la troupe a été jugée par ses supérieurs « pleine d’allant et d’énergie au feu », (ouf, ils sont rassurés !)

Il y eut même des actes d’héroïsme: voir l’article suivant, relatant la mort héroïque du Sous-lieutenant Le Brizec.

Le 10 septembre, encore plus sérieux, puisque le combat du Pont d’Aspach auquel participe la 1ère compagnie, celle de Léon, « rejette énergiquement l’ennemi vers le nord, » ; 14 prisonniers sont faits chez les allemands ; on déplore 11 tués, 71 blessés et 41 disparus.

« le résultat de ce petit engagement a été de fortifier l’énergie et l’audace de la troupe; les pertes pénibles subies par le Régiment engendrent des élans au lieu de les diminuer », se félicite le Colonel Pallu.

Ce combat du Pont d’Aspach passe pour une des rares victoires françaises dans cette région, ce qui a valu l’édition de cartes postales, comme celle-ci, trouvée aux puces de Vanves.

Pont d-Aspach

Le 14 on s’occupe des blessés et de recueillir des renseignements sur les officiers disparus.

Les jours se suivent ensuite sans beaucoup d’incidents, les «rien à signaler », fleurissent à nouveau sur le journal de marche.

Le 23 septembre, cantonnement à Rougemont-le-Château (territoire de Belfort) d’où Léon enverra une carte postale à ses tantes. Il y fait allusion à son cousin Paul PEQUIGNOT, sous-officier d’active, qui sert dans la même région.

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Le 27 septembre, « Rien à signaler »… mais une surprise attendra les soldats le lendemain. La période alsacienne qui a vu leur baptême du feu n’était que de la petite bière (si je puis dire) par rapport à ce qui va suivre !

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

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Ce jour-là, Léon, qui termine manifestement son service militaire, à la caserne de Belfort, écrit à ses parents qu’il y est retenu par son service.

La carte choisie n’est pas sans intérêt : elle représente une scène du siège de Belfort en 1871, on y voit une horde de Uhlans coiffés de casques à pointe. Pour mémoire la place de Belfort, au sud de l’Alsace, commandée par le Colonel Denfert-Rochereau, avait résisté 103 jours à l’envahisseur prussien; ce fut dans cette triste guerre de 1870 , une des très rares sources de fierté des Français écrasés en peu de temps par l’ennemi !

A l’époque le service militaire était de deux ans et on peut lire que Léon est heureux de le voir se terminer bientôt !

Il fait allusion (à deux reprises, séparées par de banales considérations sur la pluie et le beau temps !) à la « loi des trois ans » sur la durée du service militaire: il l’a  « échappée belle » (le pauvre !)

La loi rétablissant à trois ans la durée du service militaire venait en effet d’être votée le 19 juillet, après d’âpres combats entre la gauche et la droite. Cette durée n’était plus que de deux ans depuis 1905, mais devant la course aux armements et le renforcement des effectifs miltaires en Autriche et en Allemagne, le gouvernement français avait suivi les responsables de l’Armée qui demandaient une augmentation de ses moyens.

 

Le vote de cette loi ne manqua pas de susciter en retour l’inquiétude de Berlin, confirmant ses jugements erronés sur la volonté belliciste de Paris.

 

(Cf article « Comment en est-on arrivé là ?)

 

 

 

Léon MÜHR a effectivement terminé son service militaire le 8 novembre 1913 , versé dans la réserve, se retirant à Guillon. Juste avant de partir, le 13 octobre 1913, il avait été promu Sergent .

siege Belfort

Histoire de Léon

Toujours pas de répit…

Source bleue - copie

 

Léon MÜHR était originaire d’un très joli coin du Doubs : la vallée du Cusancin.

Les sources y sont des résurgences et portent des noms de couleurs : la Cuse sort de la Source Noire, au pied d’un rocher blanc de calcaire, l’Anse surgit dans un bassin d’une profondeur turquoise qui lui vaut le nom de Source Bleue. Les deux se rejoignent pour former le Cusancin dont les eaux pures se jettent dans le Doubs à Baume-les-Dames.

Louis Pergaud décrivait la vallée ainsi :

A 1 km de là, ‘le Val’ est situé dans une vallée fort jolie d’ailleurs, bien que très encaissée. C’est un petit pays tout en longueur dont les maisons proprettes longent une rivière au flot limpide et frais que hante une truite très rare et fort renommée. Quelques prairies en pente arrivent comme des torchons de verdure à la rivière, tandis que plus haut la côte avec ses forêts et ses rochers s’élève raide et escarpée barrant l’horizon» .

aimableLe grand-père de Léon, né à Landresse, à quelque distance de là, était arrivé à Cusance jeune instituteur et y avait épousé une jeune fille du pays, Julie COUR. Les deux époux avaient en commun d’avoir perdu en très bas âge leurs frères respectifs et chacun d’eux hérita donc de tout le bien de ses parents. Cela leur assura une certaine aisance.

outilsAimable PAHiN-MOUROT quitta son métier pour se consacrer à l’exploitation de sa terre. Le couple eut sept enfants dont cinq survécurent : quatre filles et un seul fils. Veuf de bonne heure, le patriarche vivait dans sa grande maison entouré de sa famille avec le projet de transmettre à son fils Ernest le domaine qu’il avait reçu et agrandi. Il ne souhaitait donc pas marier ses filles et faisait âprement (il n’avait d’aimable que son nom) la chasse aux galants qui s’approchaient de trop près… même pour la bonne cause. Mise à part Marthe, la plus jeune qui entra au couvent, les trois autres qui n’avaient pas de telle vocation avaient de bonnes chances de rester « vieilles filles ». Ce fut d’ailleurs le cas longtemps de Joséphine, l’aînée, qui ne fut autorisée qu’à trente cinq ans à épouser Louis HIENNE, qu’elle fréquenta pendant des années en cachette de son père. Le couple n’eut pas d’enfant. Hortense mon aïeule eut plus de chance; son père ne refusa pas sa main au gendarme François PEQUIGNOT qui voulut bien la prendre sans dot. Ils eurent un fils et trois filles, la deuxième étant ma grand-mère Adèle.

Il ne refusa pas non plus, quelques années plus tard le mariage de Félicie avec Louis MÜHR. Né à Guillon, de parents originaires d’Alsace, celui-ci exerçait avec son frère la profession de taillandier. Ils commercialisaient sur les foires des objets de coutellerie qu’ils fabriquaient et diffusaient sous leur marque. De ce mariage assez tardif naquit, à Guillon (un peu en aval de Cusance) un fils –unique- Léon le 1er mars 1890. Leon adolescent_0001

 

Léon était destiné à reprendre les affaires de son père et de son oncle qu’il aidait depuis son plus jeune âge. Mais son destin ne dépendait pas de lui : le 2 aôut 1914, après avoir entendu le tocsin au clocher de l’église et lu l’ordre de mobilisation générale affiché à la mairie, il reprit le chemin du Fort de Belfort où il avait effectué son service militaire, pour se mettre à la disposition de son pays. Certainement pas joyeusement, mais résolument.