FRANC-COMTOIS

Léon a donc rejoint, dès le 2 août, à Belfort  le 171e Régiment d’Infanterie, auquel il appartenait depuis sa création en 1913 et qui regroupait des recrues de l’Est de la France et en particulier beaucoup de Franc-Comtois, réputés sérieux et particulièrement braves.

La région de Franche-Comté est en France assez mal connue, pas toujours située à sa place géographique, au sud de l’Alsace dont elle est séparée par la trouée de Belfort, porte traditionnelle des invasions. Adossée à la frontière suisse, occupée en grande partie par les montagnes du Jura et ses contreforts, ses splendides paysages sont , d’un point de vue touristique, desservis par un climat plutôt rude, assez pluvieux en été et très froid en hiver.

Ma fille habite « dans l’Est », me disait récemment une dame (celle-ci avait en effet rejoint son mari à Besançon …)

On sait que les difficultés forment le caractère, c’est pourquoi celui des Franc-Comtois est généralement bien trempé :

« Hommes de l’Est, sérieux, voire graves, les Francs-Comtois sont volontiers repliés sur eux-mêmes ; peu communicatifs, ils n’accordent pas de prime abord leur confiance à un inconnu. La difficulté d’existence sous un climat et sur un sol ingrat en a fait, au cours des siècles, une population énergique, courageuse, aussi capable d’efforts violents que d’application tenace à une besogne délicate… » pouvait-on lire en avril dernier dans le Nouvel Observateur à propos des fusions de régions !

La devise de la Franche-Comté est d’ailleurs :

« Comtois rends toi !

Nenni ma foi »

…prononcée par les assiégés de Dôle interpellés par le grand Condé, qui demandant par ailleurs à rencontrer leur chef s’était entendu répondre : « nous sommes tous chefs ! »

On peut voir dans ce trait un certain goût pour l’égalité ; la solidarité et la coopération entre les habitants se laissant par ailleurs illustrer par les fruitières, institutions très anciennes et qui perdurent aujourd’hui, de la mise en commun du lait de chaque village en vue de la fabrication des roues de fromage de Comté, dont la qualité universellement reconnue provient certainement, entre autre, du sérieux avec lequel il est fabriqué.

La Franche-Comté, arrachée à l’Espagne, rattachée, de force à la couronne de France en 1678 seulement, a gardé sa personnalité régionale; comme le disait malicieusement à ses élèves l’Abbé Flory, aumônier des Lycées de Besançon : « vous vous trouvez entre l’Alsace à forte personnalité et la Bourgogne qui a oublié depuis longtemps qu’elle a un jour été libre. »

Je termine ce petit article sur la Franche-Comté par cette citation de Voltaire dans Le siècle de Louis XIV (1751) :

« Cette province, assez pauvre en argent mais très fertile, bien peuplée, étendue en long de quarante lieues et large de vingt, avait le nom de Franche et l’était en effet. Les rois d’Espagne en étaient plutôt les protecteurs que les maîtres. Quoique ce pays fût du gouvernement de la Flandre, il n’en dépendait que peu. Toute l’administration était partagée et disputée entre le parlement et le gouverneur de la Franche-Comté. Le peuple jouissait de grands privilèges, toujours respectés par la Cour de Madrid qui ménageait une province jalouse de ses droits, et voisine de la France. Besançon même se gouvernait comme une ville impériale. »

« Jamais peuple ne vécut sous une administration plus douce, et ne fut si attaché à ses souverains. Son amour pour la maison d’Autriche s’est conservé pendant deux générations ; mais cet amour était, au fond, celui de la liberté. »

 

 

 

Annexes: 26 juillet 1913

Documentation:

1914, la Grande Illusion par Jean-Yves Le Naour, (Perrin)

 

Merci à :

Mme Valérie Hoël des Archives Départementales de Belfort qui ‘a transmis la fiche matricule de Léon, ci-dessousMUHR L-on Gustave

Annexes: Né quelque part

Photos :

La Source bleue à Cusance, photo site Département du Doubs

Photos d’ Aimable PAHIN-MOUROT et de la Famille MÜHR (Louis, Félicie et Léon en communiant) collées soigneusement dans des albums par  ma mère Françoise MENNEGLIER-CREUSOT et annotées par elle. Merci !

Merci aussi à Anne MENNEGLIER-CLERC pour les photos des outils estampillés MUHR , encore utilisés dans la famille.

 

Documentation:

Je me suis servie pour la rédaction de cet article des Souvenirs de Jean MENNEGLIER, rédigés à l’intention de ses petits-enfants, sous le titre humoristique de « Mémoires d’un dinosaure ».

 

Citations :

Celle de Louis Pergaud, écrivain comtois, auteur de de la « Guerre des boutons », tué lui aussi au front pendant la guerre de 1914-1918, provient du site du Département du Doubs, j’ignore de quel livre elle a été tirée. Pour la petite histoire, Landresse, village dorigine d’Aimable PAHIN-MOUROT, a servi de modèle pour celui de la « Guerre des boutons », Louis Pergaud qui y était instituteur ayant observé les mœurs de ses jeunes élèves

26 juillet 1913

carte p 713 v

Ce jour-là, Léon, qui termine manifestement son service militaire, à la caserne de Belfort, écrit à ses parents qu’il y est retenu par son service.

La carte choisie n’est pas sans intérêt : elle représente une scène du siège de Belfort en 1871, on y voit une horde de Uhlans coiffés de casques à pointe. Pour mémoire la place de Belfort, au sud de l’Alsace, commandée par le Colonel Denfert-Rochereau, avait résisté 103 jours à l’envahisseur prussien; ce fut dans cette triste guerre de 1870 , une des très rares sources de fierté des Français écrasés en peu de temps par l’ennemi !

A l’époque le service militaire était de deux ans et on peut lire que Léon est heureux de le voir se terminer bientôt !

Il fait allusion (à deux reprises, séparées par de banales considérations sur la pluie et le beau temps !) à la « loi des trois ans » sur la durée du service militaire: il l’a  « échappée belle » (le pauvre !)

La loi rétablissant à trois ans la durée du service militaire venait en effet d’être votée le 19 juillet, après d’âpres combats entre la gauche et la droite. Cette durée n’était plus que de deux ans depuis 1905, mais devant la course aux armements et le renforcement des effectifs miltaires en Autriche et en Allemagne, le gouvernement français avait suivi les responsables de l’Armée qui demandaient une augmentation de ses moyens.

 

Le vote de cette loi ne manqua pas de susciter en retour l’inquiétude de Berlin, confirmant ses jugements erronés sur la volonté belliciste de Paris.

 

(Cf article « Comment en est-on arrivé là ?)

 

 

 

Léon MÜHR a effectivement terminé son service militaire le 8 novembre 1913 , versé dans la réserve, se retirant à Guillon. Juste avant de partir, le 13 octobre 1913, il avait été promu Sergent .

siege Belfort

La déclaration de guerre: comment en est-on arrivé là?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la catastrophe est apparue aux contemporains comme une incroyable surprise. La guerre, pourtant, on en parlait depuis des années, on l’évoquait on la redoutait, on dissertait sur elle, mais comme d’une chose abstraite, lointaine. A dire vrai, l’année 1913 avait été si alarmante et si riche en tensions diplomatiques que 1914 avait tout pour rassurer. « Le printemps et l’été 1914 furent marqués en Europe par une tranquillité exceptionnelle », confirme Winston Churchill dans ses Mémoires. Le 12 juin 1914 encore, l’ambassadeur français à Berlin, Jules Cambon, confiait au ministre des Affraires étrangères être « loin de penser qu’en ce moment il y ait dans l’atmosphère quelque chose qui soit une menace pour nous, bien au contraire ». On pouvait donc dormir sur ses deux oreilles après trois années relativement tendues et profiter enfin d’un bel été sans nuages. Mais on se trompait.

Reste une question que l’historien Jules Isaac ne cesse de se poser pour comprendre les origines somme toutes mystérieuses du conflit : « Comment expliquer que la guerre, tant de fois prévue, prédite depuis 1905, quand elle éclata dans l’été de 1914, parut tomber sur le monde comme une avalanche ? » Longtemps pour répondre à cette interrogation, les historiens ont élaboré de vastes constructions politiques, diplomatiques ou économiques démontrant le caractère inexorable et mécanique de l’affrontement, sans toutefois convaincre absolument , puisqu’aucun fait mis en avant ne suffisait à avoir rendu la guerre inévitable. La compétition coloniale ? Mais celle-ci avait d’abord opposé la France à la Grande-Bretagne ! La confrontation des ambitions économiques à l’âge du capitalisme impérial ? C’est oublier que les milieux libéraux prônaient la paix comme plus profitable aux affaires et aux échanges. L’Alsace-Lorraine ? Une vieille lubie qui ne préoccupait plus grand monde, en vérité. L’engrenage fatal des alliances diplomatiques ? On avait pourtant eu le courage d’arrêter cette mécanique lors des crises précédentes, et cela ne disait pas pourquoi on n’avait pas voulu la stopper en 1914. Et tous les historiens d’énumérer avec plus ou moins de conviction ces éléments sans pouvoir dire vraiment ce qui a été déterminant. Avouons-le : si les origines du conflit sont restées insaisissables en dépit des milliers d’ouvrages consacrés au sujet, c’est peut-être parce que les facteurs objectifs sont insuffisants pour comprendre comment la moitié de l’Europe a décidé de prendre l’autre à la gorge. Après tant de grandes synthèses indécises ou erronées, il est temps de mobiliser les ressources de l’histoire culturelle pour envisager de nouvelles pistes. Un fait est certain : l’Europe de 1914 avait peur et c’est certainement de cette peur qu’est née la guerre.

……

Parce que la réalité est ce qu’on croit et non ce qui est, on aurait tort de considérer la peur comme une simple conséquence des tensions européennes alors qu ‘elle en est aussi le moteur, qu’elle agit sur ces mêmes tensions en les exaspérant, en déformant le réel et en faussant les perceptions. L’Allemagne est ainsi persuadée que la France veut la guerre tandis que cette dernière jurerait du contraire, et toutes deux sont de bonne foi. Fantasmant sur sa décadence, terrorisée par une menace slave qui n’existe pas en tant que telle, enrageant contre le revanchisme français qui n’existe plus, l’Allemagne ne voit que la guerre pour se sortir de l’encerclement dont elle se pense victime. C’est pour elle une question de vie ou de mort, du moins le croit-elle. Alors que sa cohésion nationale se disloque, l’Autriche-Hongrie se raccroche à la guerre comme à un formidable moyen de surmonter ses problèmes intérieurs que l’on fait endosser à l’exaspérante Serbie. Pour elle aussi c’est une question de vie ou de mort. Seule la Serbie, justement étonnante de confiance en elle ne craint rien ni personne. Adossée à la Russie qui attend son heure, elle est prête à incendier la terre entière pour faire chauffer sa petite popote sur son petit feu. Et comme la peur est communicative, elle alimente la course aux armements qui finit par se nourrir d’elle-même et au bout du compte, par dévorer ses enfants. La peur crée enfin un climat anxiogène où plus personne n’a confiance dans la parole ni dans la bonne volonté de l’autre, si bien que les chances de sauver la paix s’amenuisent et qu’il est fort probable qu’à la prochaine crise personne n’en aura le courage ni la force. Comme chacun tire de plus en plus fort sur la corde où s’est formé le nœud de la guerre, il arrivera un jour où celui-ci sera si serré qu’il ne sera plus possible de le démêler et qu’il ne restera plus qu’à le trancher. Puisque l’idée fataliste de la guerre inévitable avait peu ou prou conquis les esprits, on pouvait se libérer de l’angoisse en tranchant le noeud gordien…

Tiré du livre de Jean-Yves Le Naour : 1914, la grande illusion (Perrin)

Mobilisation générale!

On a beaucoup parlé d’un départ des français à la guerre « la fleur au fusil ». Les articles de journaux de l’époque, les photos et les films semblent en témoigner.

Mais ce mythe d’une mobilisation attendue, espérée et enthousiaste, vieux récit patriotique a été contesté par l’historien Jean-Jacques Becker dans sa thèse publiée en 1977. « pour l’immense masse des français touchés par la mobilisation, écrivait-il, la tonalité dominante fut tout autre : résignation grave et angoisse diffuse. »

Paul Cazin, dans son « Humaniste à la guerre » témoigne qu’à Paray-le-Monial en Bourgogne : « Toute la ville haute pleurait. J’ai entendu dépeindre depuis lors, le joyeux enthousiasme de la mobilisation. Mais la première nouvelle fut ce qu’elle devait être, affreuse, dans les campagnes surtout où la paix bénie fleurissait. Les cloches des villages s’étranglaient à sonner un tocsin d’épouvante. Jamais elles n’avaient annoncé pareil incendie, pareille inondation, pareil fléau. »

Né quelque part

Source bleue - copie

 

Léon MÜHR était originaire d’un très joli coin du Doubs : la vallée du Cusancin.

Les sources y sont des résurgences et portent des noms de couleurs : la Cuse sort de la Source Noire, au pied d’un rocher blanc de calcaire, l’Anse surgit dans un bassin d’une profondeur turquoise qui lui vaut le nom de Source Bleue. Les deux se rejoignent pour former le Cusancin dont les eaux pures se jettent dans le Doubs à Baume-les-Dames.

Louis Pergaud décrivait la vallée ainsi :

A 1 km de là, ‘le Val’ est situé dans une vallée fort jolie d’ailleurs, bien que très encaissée. C’est un petit pays tout en longueur dont les maisons proprettes longent une rivière au flot limpide et frais que hante une truite très rare et fort renommée. Quelques prairies en pente arrivent comme des torchons de verdure à la rivière, tandis que plus haut la côte avec ses forêts et ses rochers s’élève raide et escarpée barrant l’horizon» .

aimableLe grand-père de Léon, né à Landresse, à quelque distance de là, était arrivé à Cusance jeune instituteur et y avait épousé une jeune fille du pays, Julie COUR. Les deux époux avaient en commun d’avoir perdu en très bas âge leurs frères respectifs et chacun d’eux hérita donc de tout le bien de ses parents. Cela leur assura une certaine aisance.

outilsAimable PAHiN-MOUROT quitta son métier pour se consacrer à l’exploitation de sa terre. Le couple eut sept enfants dont cinq survécurent : quatre filles et un seul fils. Veuf de bonne heure, le patriarche vivait dans sa grande maison entouré de sa famille avec le projet de transmettre à son fils Ernest le domaine qu’il avait reçu et agrandi. Il ne souhaitait donc pas marier ses filles et faisait âprement (il n’avait d’aimable que son nom) la chasse aux galants qui s’approchaient de trop près… même pour la bonne cause. Mise à part Marthe, la plus jeune qui entra au couvent, les trois autres qui n’avaient pas de telle vocation avaient de bonnes chances de rester « vieilles filles ». Ce fut d’ailleurs le cas longtemps de Joséphine, l’aînée, qui ne fut autorisée qu’à trente cinq ans à épouser Louis HIENNE, qu’elle fréquenta pendant des années en cachette de son père. Le couple n’eut pas d’enfant. Hortense mon aïeule eut plus de chance; son père ne refusa pas sa main au gendarme François PEQUIGNOT qui voulut bien la prendre sans dot. Ils eurent un fils et trois filles, la deuxième étant ma grand-mère Adèle.

Il ne refusa pas non plus, quelques années plus tard le mariage de Félicie avec Louis MÜHR. Né à Guillon, de parents originaires d’Alsace, celui-ci exerçait avec son frère la profession de taillandier. Ils commercialisaient sur les foires des objets de coutellerie qu’ils fabriquaient et diffusaient sous leur marque. De ce mariage assez tardif naquit, à Guillon (un peu en aval de Cusance) un fils –unique- Léon le 1er mars 1890. Leon adolescent_0001

 

Léon était destiné à reprendre les affaires de son père et de son oncle qu’il aidait depuis son plus jeune âge. Mais son destin ne dépendait pas de lui : le 2 aôut 1914, après avoir entendu le tocsin au clocher de l’église et lu l’ordre de mobilisation générale affiché à la mairie, il reprit le chemin du Fort de Belfort où il avait effectué son service militaire, pour se mettre à la disposition de son pays. Certainement pas joyeusement, mais résolument.