Annexes: la vie d’avant

Ceux de 14 de Maurice Genevoix, déjà cité

Les Mémoires d’un dinosaure, souvenirs de Jean Menneglier pour ses petits-enfants

Cartes postales réunies par Françoise Menneglier-Creusot dans un album très précieux

Photo d’une hache estampillée « Muhr » par Anne Menneglier-Clerc

La vie d’avant

Où étais-tu en août ? demande à brûle pourpoint le lieutenant Genevoix à un des ses subordonnés et celui-ci ne réalise pas tout de suite qu’il lui parle de sa vie d’avant ; « j’étais comptable » répond-il. Et ce passé leur semble à tous deux si lointain, ces quelques mois écoulés depuis la mobilisation leur donnant l’impression d’avoir mûri les jeunes gens insouciants qu’ils étaient alors,  comme s’il s’était agi d’années!

Léon avant la guerre, comme cela a déjà été évoqué dans l’article « Né quelque part », était négociant en taillanderie (objets de quincaillerie, outils, couteaux); l’ entreprise familiale existait depuis au moins deux générations. Il travaillait avec son père et son oncle et, comme l’écrit Jean Menneglier dans ses souvenirs, «leur commerce devait bien marcher car ils avaient acheté une automobile pour faire leur tournée. Il en restait un ou deux pneus cloutés, comme on les faisait à ce moment-là et des bidons d’essence dans une caisse en bois car l’essence ne se vendait pas encore à la pompe… Il ne restait plus de leur activité que la voiture à cheval rangée au fond d’une remise, des prospectus utilisés aux cabinets et des boîtes à outils que la Tante distribuait à droite et à gauche. »

Certains de ces outils, estampillés « Mühr » ont été conservés dans la famille et servent encore.

Hache

Léon, jeune homme assez favorisé, d’un niveau d’éducation 3 (selon sa fiche militaire, ce qui veut sans doute dire titulaire du certificat d’études ou même du brevet supérieur), s’initiait au commerce ; dans une carte postale de 1910, adressée à sa cousine Adèle Pequignot, il évoque les foires où il se gèle les doigts (mais, dit-il, il faut bien que le métier entre). Il y parle aussi de ses loisirs : du théâtre amateur organisé sans doute par la paroisse de Cusance ; dans une autre des leçons d’harmonium données par sa tante religieuse, Marthe, qui qualifie ses débuts de prometteurs. Jean Menneglier se souvient aussi de sa carabine et de son pistolet « le Français » rangés soigneusement à Guillon. Chasser et pêcher la truite dans le Cusancin devait faire aussi partie de ses passe-temps.

A dix-huit ans Léon faisait partie de la bande des « gars de Guillon », avec lesquels il « rigolait bien », parfois aux dépends des autres villageois, comme un marié venu « des colonies » pour épouser une jeune fille qui en réalité en aimait un autre : « devine qui remplacera son mari lorsqu’il sera reparti en Afrique ? »

CP Guillon 1908 r

Le dimanche après la messe à Cusance, qui réunissait les habitants des trois villages du «Val », on partageait en famille le chou garni de « côti » (petit-salé), de lard et de saucisses de Morteau au cumin.

Félicie Mühr entretenait avec ses sœurs (Hortense Pequignot, mon aïeule, Joséphine Hienne et Marthe déjà citée) des relations chaleureuses. Léon qui était fils unique fréquentait beaucoup ses cousins Paul, Marie, Adèle et Jeanne. Comme indiqué ci-dessus, beaucoup de renseignements le concernant viennent de sa correspondance avec Adèle Pequignot, ma grand-mère ; j’aurai l’occasion d’y revenir.

Bois brûlé

Dans la nuit du 30 au 31 janvier (vous l’avez déjà remarqué, les mouvements de troupe se font toujours de nuit, pour d’évidentes raisons de sécurité), le 171e RI, tout entier, quitta Vignot pour aller relever dans les tranchées deux bataillons du 172e et un du 95e.

Il allait occuper, dans la forêt d’Apremont,  le secteur du « Bois brûlé » ainsi nommé sans doute en raison d’un ancien incendie, mais qui n’avait jamais si bien mérité son nom !

« Au sommet du Bois brûlé, poudré de neige quand nous y fîmes la relève, écrit Charles Galliet, il ne manquait le dominant qu’un Christ en croix pour en faire un calvaire.

On ne pouvait imaginer plus tragique vision que ce bois massacré, tel qu’il nous apparut sous le plus lugubre des clairs de lune. De ce qui avait été la forêt, il ne restait que les troncs des plus gros des arbres, hêtres et chênes fracassés à hauteur d’homme ; branchages et baliveaux avaient été fauchés par la mitraille pendant six mois de tirs incessants et, plus nombreuses que les troncs des arbres subsistants, c’étaient des croix sur des tertres, des croix au ras du sol, elles mêmes massacrées, couchées dans tous les sens.

Il fallait vivre là! L’homme n’était plus rien, la mitraille était tout ; les mitrailleuses des deux camps balayaient jour et nuit la surface du sol où semblait avoir passé une coulée de lave sur des débris de forêt, et les obus percutaient sans arrêt sur le glacis sinistre, hachant des leurs éclats les abris et les hommes. »

Dans la nuit du 12 au 13 février, les bataillons relevés partirent cantonner à Levoncourt. Le commandement qui savait l’étape rude avait prévu que des voitures seraient mises à la disposition des soldats pour les décharger… mais certains étaient en si piètre état qu’ils y furent eux-mêmes hissés, traversant les villages sous des bâches pour ne pas être vus de la population.

Arrivée au bout de sa route, toute la troupe n’eut qu’une idée: dormir. Les hommes s’écroulèrent sur la paille des granges ; la soupe, déposée par les cusiniers, resta là refroidie jusqu’à leur réveil.

Le lendemain ils seraient vaccinés contre la typhoïde !

Annexes: Cantonnement à Vignot

Sources: les souvenirs de Charles Galliet, déjà cités.

Photographie: l’église de Vignot en hiver, site de la mairie de Vignot

Cantonnement à Vignot

Le 23 janvier, le Régiment redescend du front pour aller  « cantonner joyeusement à Vignot « , comme l’écrit Charles Galliet.

Joyeusement, car la troupe qui y a déjà séjourné en novembre, connaît ce gros village à proximité immédiate de Commercy.

Même si on dort dans des granges, sur des litières de paille, la vie dans un village épargné complètement par les destructions a un tout autre agrément qu’un cantonnement dans les demi-ruines totalement vides d’habitants de certaines localités meusiennes.

On y trouve des lavoirs pour son linge et des blanchisseuses pour les plus fortunés qui ont les moyens de se payer leurs services (ce qui était sans doute le cas de Léon). On peut se laver, se raser, se faire couper les cheveux, soigner les plaies de ses pieds endoloris par les marches et l’impossibilité dans les tranchées de se déchausser, même pour dormir.

Et puis on retrouve une vie sociale, jouer aux cartes entre camarades ou avec les villageois; aller à une vraie grand-messe chantée… mais si, cela pouvait à l’époque être un vrai moment de délassement ! (cf. article Annexes : Pallu promu)

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Charles Galliet : « Quand on avait en un quelconque village vécu même pendant très peu de temps avec les habitants, on gardait l’impression de les avoir connus durant de très longues années. Il nous sembla dès l’arrivée à Vignot que tout un passé nous était rendu brusquement ».

Il s’amuse par ailleurs de l’idylle naissante entre une jeune fille du pays et un de ses camarades fier de revenir avec un galon tout neuf «à présenter à la jeunette dont il aimait la compagnie ».

En bref, un tel cantonnement c’était retourner à la civilisation …

Mais le commandement n’oublie jamais d’ordonner des parades et des exercices , de peur que le soldat toujours suspect à la hiérarchie, ne s’amollisse dans un tel luxe!

 

Annexes: toujours pas de répit

Sources: le JMO du 171e et les souvenirs de Charles Galliet, déjà cités.

Le dessin à la plume, le guetteur (1914), est de Dunoyer de Segonzac, et figure dans le livre « Vie et Mort des Français, 1914-1918″ déjà cité.

Toujours pas de répit…

Le Régiment était donc de retour à Commercy le 16 au matin.

Le 17 janvier : repos à Commercy

Le 18, idem, mais un ordre général prévoit de le renvoyer au front pour relever deux bataillons du 227e et un bataillon du 13e.

Ce qui sera fait le soir même !

Le 3e bataillon monte à 17h à la lisère est du bois de La Louvière. Pour s’y rendre (par Vignot, Boncourt, Mécrin , Marbotte), empruntant une route pouvant être vue de l’ennemi, « les sections marcheront par un, sur le côté défilé de la route, se succèdant de 4 en 4 minutes, elles marcheront ainsi jusqu’au delà de Marbotte ».

Le bataillon occupera dans les tranchées le secteur qui lui est dévolu jusqu’à la relève.

le guetteur

 

« la boue nous accablait; mais la boue nous sauvait ; toute action offensive devenait impossible, des deux côtés on semblait économiser les munitions et les réserver pour les chocs du printemps. La maladie en revanche enlevait tous les jours des hommes aux effectifs des lignes. Les moins résistants s’en allaient vaincus par les veilles des nuits, par les froids du matin… », écrit Charles Galliet

Cinq jours plus tard, le 23 janvier au soir, tout le Régiment (les trois bataillons) partira cantonner à Vignot, village proche de Commercy.

 

Annexes: Pallu promu

Sources: JMO du 171e Régiment d’Infanterie

Je ne résiste pas à l’envie de citer les souvenirs de Charles Galliet (Notre étrange jeunesse, De la Belle Epoque à Verdun), à propos du Colonel Pallu:

« Arrivés à Vignot le samedi, pensant que l’office religieux nous apporterait l’apaisement de sa liturgie, nous avions décidé d’assister à la grand-messe du lendemain dimanche. Nous allions prendre le chemin de l’église quand un indésirable cycliste vint nous annoncer que le colonel visitait les cantonnements et qu’il était défendu de s’absenter.

De quel colonel s’agissait-il? du colonel Pallu qui nous avait jadis, chaque semaine, dans la cour du quartier de la Caserne Béchaud, jetés à la charge au son du clairon contre des ennemis imaginaires en criant: « Bravo les enfants! » et dont on nous avait depuis quelque temps annoncé le prochain départ et qui venait peut-être nous adresser ses adieux? Ou du nouveau, son successeur, un certain « de Certain » dont on nous avait annoncé l’arrivée.

Disciplinés nous attendîmes à la porte de nos cantonnements, près du lit de paille bien relevé et des rituels seaux  remplis d’eau pour servir en cas d’incendie.

Mais sans doute parce que nous étions dans la périphérie du bourg nous n’eûmes l’honneur d’aucune visite. »

Annexes: manger

Sources:

Outre le Journal de Marche et des Opérations du 171e, l’ouvrage de Charles Galliet référencé dans l’article « Annexes, pas de répit pour le 171e ».

La photo des madeleines de Commercy  (de Bernard Leprêtre, Wikipédia) n’était sans doute pas absolument utile… mais elle donne une touche de couleur à ce sombre blog et donne envie, ne trouvez-vous pas? de courir à Commercy pour en acheter de pareilles!

Annexes: pas de répit pour le 171e

Outre le journal de marche, j’ai utilisé pour cet article un ouvrage que je viens de me procurer (les vertus d’internet!): Notre étrange jeunesse, De la belle Epoque à Verdun, par Charles Galliet, Gray 1966. Celui-ci, sergent-major au 171e RI a servi dans cette unité pendant toute la guerre, ses souvenirs sont donc précieux. Le premier chapitre, qui commence par le refrain du « c’était mieux aâvant » d’un vieil homme pouvait faire craindre le pire quant au contenu! Heureusement le reste a été rédigé par un jeune homme qui a su exprimer dans un style plutôt agréable, le vécu et les sentiments contradictoires éprouvés pendant ce long cauchemar qu’a été la guerre de 14-18.